Chapitre 26

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-Esther excuse moi !

Luc courait derrière sa jeune amie. La journée de cours était terminée et depuis l'incident du cours de physique, elle ne lui avait pas adressé la parole.

-Esther t'es pas du genre rancunière. Il se passe quelque chose c'est ça ? Qu'est-ce que t'as ? Pourquoi tu me dis rien ?

-Pardon ? - le ton de la jeune fille surprit Luc - c'est à moi de te raconter des choses ? T'es bizarre depuis la soirée de ce crétin de Marc, tu réponds plus à mes messages, tu parles même pas à Paul !

-Depuis quand tu discute avec Paul des conversations qu'on entretient lui et moi ?

-Peu importe. - elle était désormais sèche - C'est cette fille c'est ça ?

-Hein ? Quelle fille ?

-A la soirée ... Tu nous a lâchés, t'as fumé comme un pompier et tu t'es barré avec quelqu'un, c'était qui ? Elle s'appelait comment ? Pourquoi tu ne me dis rien toi non plus ?

Et merde. Luc ne voulait pas aborder le sujet de IL et non de ELLE. Certes ils se racontaient toujours tout mais cette fois-ci c'était différent.
Il arriva à son niveau. Elle s'était arrêtée de marcher et se tenait debout, dos au garçon. Elle avait la tête baissée et serrait ses cours très fort contre sa pointrine.
Luc s'approcha. Il se tint derrière elle, attendit quelques instants et lui posa une main sur l'épaule. Doucement, lentement. Esther ne réagit pas. Il lui aggripa alors fermement les deux épaules et la fit pivoter, face à lui. Le visage de la jeune fille baignait dans les larmes. Elle releva les yeux et éclata en sanglots.

-Esther, - chuchota-t-il - qu'est ce qu'il se passe vraiment ?

-Il se passe - elle hoqueta - il se passe trop de choses pour moi et je veux le meilleur pour ceux qui compte le plus dans ma vie tu vois ? Toi, ta mère ... Je veux être présente et comprendre chaque chose pour vous aider et oublier les soucis de mon côté. Je veux vous rendre heureux.

Elle éclata de nouveau en sanglots. Le jeune garçon la prit sans hésiter dans ses bras, et la serra très fort. Il sentait les battements du cœur de son amie et sentait le rythme cardiaque ralentir au fur et à mesure que le temps passait.

-Excuse-moi, - finit-elle par dire - je dois rentrer.

Elle se dégagea doucement de l'étreinte de Luc, lui déposa deux bisous aux creux des joues et s'en alla, d'un pas léger.
Luc la regarda partir. Il était toujours debout, au milieu de la sortie du lycée. Il savait ce qui n'allait pas lui. Il demandait constamment à Esther quels étaient ses problèmes mais il connaissait tout de sa meilleure amie.
Esther était une fille forte qui avait traversé bien des épreuves dans sa vie. Ses parents ayant divorcé quand sa mère était enceinte d'elle, elle avait toujours vécu sans son père. Durant toute son enfance, elle rêvait de le voir un jour mais malheureusement c'était impossible, pour des raisons qu'elle ignorait. Quand elle avait neuf ans, sa mère était mariée à un homme qu'Esther détestait. Il ne lui avait certes jamais rien fait mais elle n'aimait pas cet homme et ne le considérait pas comme un père. Un jour, Esther était revenue de l'école et avait trouvé la maison vide. Elle avait simplement retrouvé deux mots sur la table de la cuisine. Le premier, était écrit par son beau père. Elle avait reconnu l'écriture. Le papier était un peu froissé, et des gouttes d'eau avaient légèrement délavé l'écriture. Des larmes.

"Je m'en vais. J'ai rencontré quelqu'un d'autre, qui n'a pas de gosse. C'était soit moi, soit ta fille. Demerde-toi."

Le deuxième mot était plus compliqué. Il était écrit d'une écriture légère, soignée. Une écriture qui appartenait à l'évidence à sa mère.

"Là où l'eau coule, j'irai laver mon âme."

Du haut de ses neuf ans, Esther avait appelé une voisine pour que celle-ci l'aide à retrouver sa mère à partir des deux mots.  La voisine avait lu, puis avait directement averti la police et c'est une heure plus tard qu'ils avaient retrouvé le corps sans vie de la mère, dans un torrent proche de la ville. Il était couvert de bleus et de blessures. Au fil du temps Esther avait compris que l'homme qui avait occupé une place majeure dans la vie de sa mère n'avait fait qu'empirer leur relation en la battant et en jouant sur ses sentiments.
Après quelques mois dans un centre spécialisé, Esther avait finalement reçu une lettre disant qu'elle rencontrerait son vrai père et qu'elle irait vivre chez lui jusqu'à sa majorité. Elle avait attendu leur rencontre avec impatience. Tant de fois elle avait rêvé de son père, cet homme qui devait lui sauver son enfance, cet homme qui avait jadis été absent pour elle et dont elle avait besoin maintenant en tant que héros.
Et c'était arrivé. Esther avait eu du mal à s'en remettre et elle regrettait un peu le temps durant lequel elle était hébergée au centre. Elle avait trop rêvé et voilà. Elle était arrivée devant cet homme qui était malheureusement son père et avait réalisé à quel point les années à venir allaient être longues. Désormais elle vivait avec un alcoolique qui n'était pas là tous les jours et qui refusait de la voir comme sa fille.

Luc songeait à toute cette histoire lorsqu'il fut bousculé. Il se retourna et reconnut immédiatement cette silhouette, ce visage, cette voix :

-Deux fois en une journée, c'est encore du hasard ça ? Sérieusement je suis désolé, je marchais en regardant mon téléphone et je ne t'ai pas vu.

Mathis.

-Oh non mais t'inquiète, je sais pas pourquoi je suis resté planté en plein milieu du passage, je suis dangereux aussi !

Malgré son grand sourire, la voix de Luc trahissait son gêne.
Mathis sourit, attendit quelques instants, puis plongea ses yeux dans ceux de Luc.

-Ça te dit demain aprem un café en ville ? On pourrait discuter ?

-Pas de problème !

Luc se surprit lui-même avec sa réponse. Il avait répondu du tac au tac et très naturellement. Cela le gêna terriblement. Pourtant, Mathis se contenta de la réponse, lui adressa un clin d'œil et s'éloigna en lui faisant un signe de la main.

-A demain Luc, on se retrouve devant le lycée comme ce soir ! Bonne soirée !

-A demain Mathis !

"C'est vrai qu'il est beau quand même" songea Luc sur le trajet du retour. Il était toujours très surpris de la manière dont il avait accepté ce rendez-vous et se demandait encore et encore pourquoi il avait réagit ainsi. Et si Mathis embrassait comme Raphaël ? Mais pourquoi était-il en train de s'imaginer comment Mathis embrassait les gens ? Il se répéta en boucle toutes ces questions, et bien d'autres encore. Il réfléchit tout le trajet. Lorsqu'il arriva chez lui, il constata que sa mère n'était pas encore rentrée. Il monta dans sa chambre d'un pas décidé et se jeta sur son lit. Il saisit son téléphone.

"Créer un nouveau message
À : Raphaël

Raphaël ... Comment t'as su que t'étais gay ?"

L'espace d'une seconde.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant