L'espace d'une seconde.

Chapitre 28

Le jeune garçon marchait depuis presque une demi-heure lorsqu'il gagna le centre-ville. Partout où il passait, des fleurs bordaient les maisons et les gens exposaient leurs bras blancs au soleil pour les faire bronzer et avoir la marque de leurs débardeurs. Une semaine s'était écoulée depuis l'entretien entre Luc et Mathis et ni l'un ni l'autre n'avait vraiment cherché à se recontacter. Luc appréciait certes Mathis mais il n'avait nulle envie de se mettre dans des histoires s'il n'était encore sûr de rien. En quelques jours, il s'était forcé à voir la vie différemment et le résultat était effectivement troublant. Il ne voyait plus rien pareil et remarquait étrangement les moindres détails autour de lui.
Jamais, par exemple, il n'aurait pu remarquer que la boulangère de son quartier portait un chemisier vert un jour sur trois s'il n'y prêtait guère attention. Jamais non plus il n'aurait pu remarquer la légère cicatrice dans le dos du voisin ou encore le petit bruit qu'émettaient les lèvres de sa mère lorsqu'elle ouvrait la bouche pour sourire.
Luc se fichait en fait éperdument de ce qu'il était et ce qu'il n'était pas. Il n'avait pas le temps, ni l'énergie de se poser la question ou tout simplement pas l'envie. Il avait décidé de faire confiance en son destin et bien que cela lui fut difficile à accepter, il finit tout de même par s'y faire.
Luc adorait marcher en ville, surtout par ce temps là. Il aimait respirer les odeurs des différentes échoppes, qui variaient selon les quartiers. Il aimait également prendre le temps d'observer les enfants qui jouaient dans les squares publics car, même si sa patience n'atteignait pas de hauts sommets, il aimait voir l'énergie que dégageaient ces petits êtres pleins de vie.
Il tourna au coin du long boulevard dans lequel il marchait depuis plus d'une demie-heure heure et arriva sur une petite place carrée bordée de fleurs. L'air était bon et la fontaine centrale apportait une touche de "zen". Luc se trouvait dans un quartier que l'on pourrait qualifier comme "bobo" mais en oubliant le côté chic. Juste bohème en fait. C'était agréable.
Raphaël avait donné rendez-vous à Luc dans un des petits bars de cette place. "Chez John John". Luc n'avait jamais mis les pieds dans ce café ni même dans ce quartier mais tout ce décor lui faisait bonne impression et une vague de légèreté s'empara de lui lorsqu'il entra. Des tissus aux motifs orientaux ornaient les murs blancs et des plantes vertes longeaient une partie des rebords de fenêtres. Certaines pendaient au plafond par des petites plateformes et d'autres étaient en pots, soigneusement arrosées et dégageaient un doux parfum. Luc devina le fond sonore : du Janis Joplin. Il avait étudié cette artiste en cours de musique et connaissait quelques uns de ses morceaux les plus connus. Il s'avança vers le fond de la salle et aperçu une silhouette assise sur un tapis sur lequel étaient disposés des verres et des bouteilles de bière. En s'approchant, il comprit que la personne était un jeune garçon, qui semblait attendre. Il avait la tête baissée mais lorsque Luc s'approcha, il leva la tête.

-Salut - dit-il avec un grand sourire.- Tu ne te souviens peut-être pas vraiment de moi ...

-Oh euh si ... Enfin non pas physiquement mais sinon oui ! Enfin non mais tu vois ce que je veux dire !

Luc était confus il n'arrivait pas à s'exprimer. Il se souvenait de Raphaël, de la manière dont s'étaient passé les choses et de quelques autres détails mais physiquement il aurait été incapable de le reconnaitre. Mais comment avait-il pu oublier ce garçon là ?
Raphaël éclata de rire. Il se releva et lui fit la bise.
Il était un tout petit peu plus grand que Luc mais n'était pas particulièrement musclé. Il était même fin. Sa peau était légèrement bronzée mais restait claire et quelques taches de rousseur couvraient ses joues par-ci par-là.

-Assieds-toi je t'en prie - lui dit-il en désignant le tapis.- Je te commande quelque chose ?

-Euh oui je veux bien ! Une bière ?

-Allez !

Il interpela le serveur lorsque celui-ci passa près de la chaîne HI-FI pour changer de CD. Il remplaça Janis par une musique venue d'Inde visiblement, jouée avec plusieurs flutes et des percussions.
Le serveur ne portait pas de tablier ni de badge et Luc n'aurait sûrement jamais deviné que cet homme, qui devait avoir quarante-cinq ans à peu près, travaillait dans ce lieu. Il portait, comme Raphael, un sarouel marron. Il s'approcha pour prendre la commande et Luc sentit une légère odeur de tabac. Il fit un chignon avec ses dreadlocks et s'adressa à Raphaël :