3. Vider son sac

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L'air ébahi qu'affichait Sirius convainquit Remus de poursuivre sans attendre :

— J'ai eu le temps de réfléchir, durant ces mois de solitude. Sans toi, sans James, sans Dumbledore... Je me suis rendu compte qu'en dehors de ce cercle très restreint, je n'avais pas de véritable ami, pas de soutien. Et... sans les nombreuses faveurs que vous me faites, je me suis surtout rendu compte que je vivais dans un conte de fées. La plupart des gens n'acceptent pas facilement d'intégrer un loup-garou dans leur cercle d'amis, alors sur un lieu de travail... J'avais déjà expérimenté le rejet quand on était ensemble, je postulais en vain à de nombreuses offres d'emploi, mais il y avait bien un ou deux petits jobs que James et toi parveniez à me dégoter pour quelques mois, histoire que je ne me sente pas trop comme un parasite, j'imagine.

Sirius ouvrit la bouche pour protester, mais Remus le fit taire d'une main. Il réprima une grimace alors que ce simple geste semblait l'élancer ; toujours cette foutue épaule douloureuse.

— Sans aucun autre appui que le mien, j'étais incapable de gagner la confiance de qui que ce soit. D'abord, si je voulais essayer de m'intégrer quelque part, il fallait que j'omette ma condition. Mais il est difficile de cacher très longtemps à son employeur que l'on est un loup-garou quand on s'absente une fois par mois à chaque pleine lune... Alors, j'ai tenté de me faire embaucher par des Moldus. Je parvenais à vivoter, mais force était de constater que je ne parvenais absolument pas au même niveau de vie que James et toi. J'étais un reclus, un banni, un pestiféré. Les gens me l'ont assez bien fait comprendre, marmonna-t-il amèrement, le visage convulsé dans une moue de dégoût. En vérité, seul, je ne m'en sors pas. Je ne suis qu'un boulet, malade qui plus est. Est-ce que j'ai véritablement envie que quelqu'un prenne soin de moi tous les mois jusqu'à la fin de mes jours ? Est-ce que j'ai envie d'infliger cette angoisse à la personne qui partagera ma vie ? Et puis, quel ami côtoierait un enfant en se sachant dangereux ? Lorsque nous sommes sortis de Poudlard, nous étions heureux, insouciants, inconséquents. Aujourd'hui... Aujourd'hui, cette guerre m'a fait réaliser beaucoup de choses. Je ne veux pas être ton... votre fardeau. Je ne veux pas risquer de mordre Harry un jour, parce que je me serais échappé de la pièce censée me contenir, parce que toi ou James aurez cru bon de me laisser gambader à vos côtés sous vos formes animales. Si je mordais quelqu'un... Je ne m'en remettrais jamais. Je ne veux pas infliger ça à qui que ce soit. Et ce serait encore pire si c'était l'un de mes proches. Je ne peux pas... Je ne veux pas courir ce risque.

Un instant de flottement suivit sa tirade, que Sirius avait écoutée en fronçant les sourcils.

— Qu'est-ce que tu es en train de me dire, là, Remus ? Que tu vas vivre éternellement seul dans une cabane au fin fond d'une forêt roumaine en attendant la mort ? C'est absurde.

— Tu ne peux pas comprendre.

— Ah non, pas de ça avec moi ! Je peux très bien...

— Tu n'as pas vu, le coupa Lunard, une étrange lueur dans les yeux. Tu n'as pas vu ces meutes qui vivent dans le dénuement et la crasse, à la marge du monde humain. Les loups-garous... Les miens... S'ils veulent vivre loin de toutes ces angoisses, ces dangers, ces frustrations, ils doivent s'exiler et vivre entre eux. Ou plutôt, ils doivent survivre. Tu...

Les yeux de son ami étaient hantés, son expression figée dans un masque imperturbable que Sirius ne parvenait pas à interpréter.

— Tu ne sais pas ce que j'ai dû faire durant tous ces mois... (Sirius fronça les sourcils, inquiet, mais incapable de l'interrompre alors qu'il vidait son sac.) Je suis un monstre. Si je laisse libre cours à ma nature, je suis capable de commettre un meurtre sans même y penser. Et pourtant, je m'en souviendrai à mon réveil. C'est ça, qui je suis, acheva-t-il d'une voix rauque.

— Tu divagues, répliqua fermement Sirius. Ce n'est ça qui définit qui tu es. Ce qui te définit, ce sont tes choix. Tu n'as pas choisi d'être un loup-garou. Tu as choisi d'être un sorcier, d'être prudent, attentionné, empathique et courageux...

Une exclamation dédaigneuse échappa à Remus.

— Courageux ? J'ai toujours été d'une lâcheté repoussante.

— Je ne vois pas ce qu'il y a de plus courageux que d'affronter une transformation insoutenable chaque mois, t'en relever et poursuivre ta vie avec des idéaux de justice et de bienveillance.

Lupin secoua énergiquement la tête.

— Tu m'idéalises. Tout ce que je fais, c'est subir. Tout ce que j'espère, c'est être aimé. Obtenir de la reconnaissance, une validation sociale, n'importe laquelle... Pourvu que je puisse m'y lover comme un chiot naïf en attendant qu'on me nourrisse.

— Tout le monde veut être aimé. Ça ne fait pas de toi un lâche, fit remarquer Patmol.

— Mais quelle personne espère être aimée quand elle trahit la confiance de tous ceux qui ont cru en elle ?

— Enfin, Remus, on ne va pas en revenir à cette histoire de Dumbledore...

— Mais c'est le nœud du problème, Sirius ! s'impatienta-t-il en se crispant. Je dois mon entrée dans le monde de la sorcellerie à Dumbledore, qui a mis en place un système complexe pour m'accueillir à Poudlard. Et qu'est-ce que j'ai fait ? J'ai bafoué sa confiance, celle des professeurs, risqué la vie de centaines d'élèves inconscients du danger, entraîné mes amis les plus chers dans cette folie et j'y ai pris du plaisir ! J'étais tellement heureux d'avoir des amis, toute cette attention, cette vie incroyable... Je ne pensais qu'à moi, à ma petite satisfaction personnelle, ce besoin narcissique de...

— Ça suffit, l'interrompit Sirius, qui réfrénait difficilement la révolte qui enflait en lui à mesure qu'il l'entendait s'autoflageller. Tu as beau être un loup-garou, tu as le droit d'être un adolescent stupide et autocentré. Très franchement, James et moi te surpassons largement dans ce domaine. Ce n'est pas ta faute si tu as ce poids sur les épaules ! Personne ne devrait l'avoir, et surtout pas un gamin. Tu n'as pas besoin de porter ce fardeau tout seul, Remus, ajouta-t-il d'une voix radoucie. J'ai toujours été là pendant et après tes métamorphoses, et ça ne me gêne pas. J'aime prendre soin de toi, savoir que tu es en sécurité, au chaud, soigné.

— Mais ce n'est pas ton rôle !

— Bien sûr que si ! se récria l'Animagus en grondant férocement. C'est le rôle d'un compagnon de prendre soin de l'autre. Je devrais t'abandonner parce que tu me demandes un peu plus d'efforts que les autres ? Franchement, d'entre nous deux, qui serait le lâche ?

— Ce n'est pas un défi personnel, idiot, grogna Lupin en enfouissant son visage décomposé dans ses mains.

— Et toi, tu es un foutu con ! Je suis adulte, laisse-moi faire mes propres choix plutôt que de prendre la fuite dès que ça devient sérieux !

À la façon dont ses épaules se figèrent, Sirius devina qu'il avait fait mouche. À cet instant, il crevait d'envie de lire l'expression sur son visage dissimulé entre ses doigts.

Faisait-il tous ces efforts pour le tenir éloigné par peur de s'engager ? De souffrir ? Était-ce vraiment une coïncidence si, la veille du départ de Remus, celui-ci avait entraperçu l'alliance qu'il comptait lui offrir symboliquement ?


Le prochain chapitre s'intitulera « Catastrophe culinaire ».

Juste une nuit || Harry Potter (Maraudeurs, wolfstar)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant