8. La peau embrasée

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Pourquoi lui avoir caché sa blessure ? Il aurait très bien pu le soigner, exactement comme le lycanthrope avait soulagé ses brûlures !

L'eau cessa de couleur, l'émail couina et Sirius put visualiser avec force détails son long corps nerveux, couturé de cicatrices, poser précautionneusement un pied frémissant sur le tapis de bain.

Oh, ça suffit, se sermonna-t-il en reculant encore d'un pas, jetant un regard furieux à la porte comme si elle l'avait gravement offensé. C'est pas le moment pour l'imagination galopante !

S'il était contrarié par la dissimulation de la blessure, il l'était tout autant par sa propre incapacité à réfléchir posément en sachant le corps – quoique très désirable – de Remus à seulement deux mètres de lui. Il savait pertinemment que c'était en partie cette propension à se taire au profit d'une bonne partie de jambes en l'air qui les avait poussés au bord du gouffre. Le loup-garou en jouait, bien entendu, mais l'Animagus aurait dû faire preuve de moins de faiblesse. Ce n'était pas comme s'ils n'étaient pas capables de parler à cœur ouvert ! Ils l'avaient fait durant des années avant de se mettre ensemble.

Cette constatation fut très douloureuse pour Patmol. Ce passage de l'amitié à l'amour, qu'il avait d'abord interprété comme un miracle, serait-il en réalité la cause de leurs maux ? Était-ce réparable ? Était-ce envisageable de continuer à éprouver des sentiments aussi forts l'un pour l'autre, si le retour à l'amitié pouvait panser les cœurs et soulager les blessures ?

Un boulet de canon interrompit ses angoisses.

— Sirius... !

Sans crier gare, Remus avait ouvert la porte de la salle de bains, une serviette passée autour des hanches et un gant de toilette sur l'épaule. Il avait visiblement l'intention de se précipiter silencieusement on ne savait où, mais le corps élancé de Sirius avait avorté toute tentative de discrétion : le lycanthrope l'avait heurté de plein fouet, cillant d'un air surpris, les mains posées sur son torse.

Ils restèrent quelques secondes dans cette pose un tantinet clichée, échangeant des regards bovins que n'arrangeait pas la proximité délicieuse de leurs corps. À son tour, Patmol cilla d'un air singulièrement idiot, se rendant compte que le corps à demi nu de son compagnon était encore recouvert de savon par endroits. Mais avant de pouvoir approfondir son examen, il fut harponné par les yeux d'ambre légèrement écarquillés, assombris par un désir sauvage. Les mains délicates du loup se convulsèrent contre son torse, le corps parcouru d'un long frisson qui fit écho à l'onde de choc qui électrisa celui de Sirius.

Il lui suffirait d'avancer la tête, juste un peu...

Il sentait son souffle mentholé s'échouer contre ses lèvres, voyait ses cils épais s'abaisser lentement sur ses joues pour dissimuler son trouble, devinait le sourire irrépressible à ses commissures tremblantes.

Il lui suffirait de lever la main, d'effleurer sa pommette rosie, rien qu'un peu...

Remus rouvrit à demi les yeux pour les baisser vers lui, les lèvres entrouvertes, la respiration soudain lourde. Il pencha légèrement la tête de côté, offrant sa gorge comme une reddition, l'une de ses mains remontant dans le cou tendu de Sirius pour l'inviter à s'avancer.

C'était si facile, si tentant.

Sirius recula d'un pas.

Pas maintenant.

Le charme fut brutalement rompu, leur faisant l'effet d'une vague glacée reçue en plein estomac. Remus parut confus, désorienté et peiné. Une ombre passa sur son visage, puis il se reprit :

— J'étais venu chercher ma baguette, je l'ai laissée sur la table de la cuisine.

S'il était clair qu'il comptait s'en servir pour diriger le pommeau de douche sur les zones savonneuses de son corps, la question du pourquoi ne fut toutefois pas nécessaire. Avec horreur, Sirius remarqua le gant de toilette dans le creux de son épaule gonflée : il avait glissé, laissant voir l'empreinte violacée, profonde, infectée d'une dent humaine.

À son expression épouvantée, le loup-garou comprit immédiatement et jeta un coup d'œil affolé à son épaule, replaçant le gant de toilette imbibé d'eau fraîche sur la blessure pour la soustraire à son regard.

— Par Merlin, Remus... Qu'est-ce que c'est que ça ? Qui t'a fait ça ?

Voyant que son ex-amant allait protester, il retira le gant de toilette d'un geste vif pour examiner la morsure de plus près. Il vit le lycanthrope pâlir du coin de l'œil, tressaillant de douleur, mais ne parvint pas à détourner les yeux de la profonde entaille qu'il lui avait dissimulée jusqu'ici. Il ne s'agissait pas seulement d'une dent, mais de toute une mâchoire ! La morsure était cruelle, barbare ; elle avait déchiré une partie du muscle, imprimant son empreinte avec la force d'un animal féroce. Le pourtour de la blessure était nervuré d'un noir inquiétant, et la plupart des trous causés par les dents étaient infectés, suintant de pus.

Sirius ravala sa nausée pour relever les yeux et dévisager son vieil ami avec effroi.

— Il faut aller tout de suite à Ste Mangouste ! C'est une blessure magique, ça, pas une broutille ! Qu'est-ce que tu comptais faire avec ton pauvre petit gant de toilette, hein ? s'écria Patmol avec un peu trop de force et de colère, la voix vibrante d'angoisse. Tu veux te laisser mourir ou quoi ?

— Calme-toi ! rugit Remus en reculant à son tour, les yeux étincelants de colère, le dos voûté dans une posture instinctive de défense.

Conscient de son emportement, l'Animagus prit une profonde inspiration et leva les mains.

— Je suis juste inquiet, très inquiet, Remus... J'ai peur pour toi. Je suis désolé si je t'ai effrayé. Je veux que tu ailles bien...

Un grognement lui répondit, et il s'en voulut d'avoir cédé à la panique. Et dire qu'ils avaient été sur le point de s'embrasser quelques minutes plus tôt...

Non, non. On ne doit pas retomber dans les mêmes travers.

— Je suis désolé, ajouta-t-il. Laisse-moi t'aider, s'il te plaît. Tu veux bien ?

Le loup-garou lui lança un regard méfiant, toujours sur la défensive.

— Tu ne vas pas m'emmener de force à Ste Mangouste ?

— Je ne t'obligerai à rien du tout, lui répondit Sirius avec la plus grande douceur.

En cet instant, Remus Lupin avait tout du loup. Les lèvres frémissantes, les dents à demi découvertes, le dos voûté comme une bête prête à bondir... Mais ses yeux cherchaient les siens, timidement. Patmol devait le rassurer.

— Je veux juste comprendre – et t'aider, si tu veux bien. Je t'aime, Remus, ajouta-t-il d'une voix plus douce encore, frémissante d'émotion. Je sais que je t'ai donné des raisons d'en douter, mais je suis sincère. Je suis prêt à tout pour te prouver que je suis digne de toi.

De nombreuses choses passèrent sur le visage de son meilleur ami blessé, mais ses yeux brillants de larmes et son air vulnérable soulevèrent tellement d'amour en Sirius qu'il dut lutter violemment contre lui-même pour ne pas l'étreindre et lui murmurer que tout irait bien, qu'il prendrait soin de lui et ne douterait plus jamais de sa loyauté, quand bien même tout l'accuserait.

— Pourquoi avoir reculé ?

Sa question désarçonna Sirius. Le lycanthrope avait donc été blessé parce que son compagnon n'avait pas répondu à son invitation muette. Il avait rendu les armes, avait fait un pas vers lui et s'était vu récompenser par un refus.

Patmol secoua lentement la tête, cherchant ses mots, puis expliqua :

— Parce que je n'ai pas envie d'enterrer nos problèmes dans un baiser ou une étreinte, comme on sait si bien le faire. J'ai envie de recoller les morceaux, faire les choses comme il faut. J'ai envie que tu comprennes à quel point tu es important pour toi. Tu n'es pas juste un partenaire sexuel, mais un compagnon de vie dont je suis si fier que j'ai envie de crier sur tous les toits que tu m'aimes et que tu m'as choisi, moi, entre tous les autres... Si tu veux encore bien de moi..., ajouta-t-il, mal assuré.

Il y eut un nouveau silence, durant lequel Sirius sentit son cœur se serrer d'appréhension. Puis :

— D'accord, murmura Remus d'une voix rauque. Je vais te raconter ce qu'il s'est passé.


Le prochain chapitre s'intitulera « Le cœur silencieux ».


Juste une nuit || Harry Potter (Maraudeurs, wolfstar)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant