L'état de semi-conscience dans lequel j'étais plongé n'a pas cessé aussitôt. Au contraire. J'agissais comme si un hypnotiseur avait son emprise sur moi. Il n'y avait aucun pendule, aucune voix sur laquelle se concentrer. Pourtant, je n'étais pas moi-même, mon sourire béat de tout à l'heure ne me ressemblant pas. Lorsque Samuel a prononcé le nom « hétéro », je me suis réveillé. Ce devait être le mot-clef, tant il a résonné dans ma tête.
Aucune douche froide. Le sol ne se dérobe pas sous mes pieds. Je suis quasiment impassible depuis ce mot tant redouté. Je vois simplement les visages respectifs de Marc et Favian rougir, microseconde par microseconde ; tandis que les lèvres de Samuel continuent de s'activer afin de prononcer de nouvelles paroles. Je les comprends après tout, qualifier un « hétéro » de d' « homo » n'est pas la plus aisée des situations.
Une bulle m'entoure. Elle est insonorisée et le temps passe bien plus lentement en son sein. J'ai le temps de détailler chacun de mes interlocuteurs. Marc et Favian, que j'ai un temps soupçonnés, dans la pharmacie, un temps détestés, dans leur appartement, un temps désirés, dans le studio photo, me semblent aujourd'hui de plus en plus familiers. Je crois qu'une belle relation pourra naître entre nous. Sans ambiguïté bien entendu.
Samuel ne remue plus les lèvres. Il se tourne vers moi, à l'instar de Marc et Favian. Je les vois me regarder, toujours aussi rouges pour les uns et aussi beau pour l'autre. Ils attendent apparemment quelque chose, que la bulle dans laquelle je suis plongé m'empêche de percevoir. C'est la main de Samuel sur mon épaule qui me sort de mon absence. Après avoir fait voler en éclat ma séance d'hypnose, voici qu'il fait éclater ma bulle. Je lui en veux davantage pour cela que pour le fait d'être hétéro.
« Julien ? Je peux partager la confidence ?
— De quoi parles-tu ? répondis-je sans saisir.
— Je, enfin, excuse-moi, ça ne me regarde pas, bafouille-t-il, pensant que je jouais aux ignorants.
— De quoi parliez-vous, j'étais perdu dans ma nouvelle enquête, excusez-moi, interrogeai-je les Thomas.
— Samuel nous expliquait qu'il ne nous tiendrait pas rigueur pour notre indiscrétion et notre grossièreté, essaie de répondre Favian.
— Une grossièreté qui exige d'autant plus des excuses autour d'une belle bouteille de vin ! insiste Marc.
— Pour vous rassurer, vous n'aviez tort qu'à moitié, puisque je suis de votre côté les garçons » souris-je en posant ma main sur l'épaule de Favian qui devient écarlate, arrachant à Marc un petit éclat de rire.
Je ne reconnais pas, c'est vrai, ma soudaine familiarité. Après tout, j'ai le droit d'être tactile, Samuel devant déserter mes pensées. Cette complicité soudaine, inattendue, entre le couple et moi vient marginaliser Samuel, placé à l'écart. Non pas parce qu'il n'est pas gay, mais parce qu'il n'a pas su saisir la convivialité du couple. Si la bulle a explosé sous ses piques, mon cœur, lui, ne se brisera pas en morceaux pour un hétéro.
« Les garçons vont te faire faire le tour des clubs gays VIP si tu continues à rendre mon homme aussi mal à l'aise, pouffe Marc.
— Je ne suis pas mal à l'aise, annonce Favian timidement. Simplement surpris que le Commandant Daviau soit en train de briser sa carapace avec nous.
— Si je n'étais pas sage, je dirais oui pour le tour des clubs, mais ma soirée est déjà occupée, désolé. Et puis, pour commencer, nous irons plutôt dans un bar lounge avec Samuel, dis-je malicieusement en ébouriffant ses cheveux.
— On ne l'avait pas oublié, s'exclame Marc. D'autant plus que la bouteille de vin en question est chez nous. Pour les clubs, je te passerai mon annuaire ! » souligne-t-il avec un clin d'œil.
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Hommes de Loi (B&B)
RomanceParfois la vie nous ramène dans le passé, là où tout a commencé : Julien Daviau revient là où il a fait ses premiers pas. Mais tout a changé : homosexuel assumé (quelquefois dépravé), désormais commandant (aux méthodes souvent contestables mais tou...