« Madame la procureure, j'ai bien eu votre appel téléphonique.
— Julien, vous êtes sur le trajet du commissariat ?
— Pas encore, je vous avoue qu'à 6 heures, je suis encore dans ma chambre.
— Oui, c'est vrai... dit-elle avec ce que je pense être un sourire gêné. N'y allez pas, et rejoignez-moi dès que vous le pouvez chez moi. Je n'ai pas déménagé depuis votre mutation. Je vous offre le petit-déjeuner.
— Euh... Très bien Madame la procureure.
— Isabelle ira très bien. A tout à l'heure », raccroche-t-elle alors.
J'avoue être perturbé. Pourquoi faudrait-il que nous échangions en-dehors du tribunal ou du commissariat ? J'étais allé chez elle il y a quelques années pour fêter la fin d'une affaire, c'était vraiment très sympathique. En raccrochant, je redécouvre les SMS de Samuel, et me décide enfin à les ouvrir. Je suis assez surpris d'ailleurs. Ce sont des messages à la fois d'incompréhension, puisque j'ai quitté le commissariat sans lui dire un mot, juste après la conversation avec les Thomas ; d'excuses, encore, et surtout de confidence, puisque je lis sur ces derniers messages qu'il n'arrive pas à trouver le sommeil. L'ultime mêle les trois sentiments :
Je me demandais pourquoi tu ne répondais pas, excuse-moi Julien, j'avais oublié que ce soir tu étais occupé. Je ne comprends pas cette insomnie honnêtement, et je ne pense même pas à Lukas, sauf à t'en parler maintenant ... avant que tu ne le fasses. Je vais prendre un somnifère, à demain Julien !
Je n'arrive pas à m'en vouloir de l'avoir délaissé. Pourtant, il n'a visiblement rien remarqué de ma réaction et de la distance que j'avais mise dès que les sons composant le mot hétéro sont sortis de sa bouche. Malgré l'innocence dont il fait encore preuve, je m'en tiendrai à ma décision, je dois mettre davantage de barrières entre lui et moi désormais.
En terminant de m'habiller, je lui envoie un SMS :
Salut Samuel. En effet je n'avais pas mon portable avec moi. Ne prends pas trop de saloperies non plus. La journée va être longue. D'ailleurs, ce matin je suis absent. A plus tard. J.
Au moment d'appuyer sur envoyer, je me rends bien compte que je suis froid. Pas même un désolé. Je ne sais pas faire. Et encore moins avec quelqu'un à qui j'avais ouvert mon cœur sans pour autant que ce ne soit réciproque d'ailleurs, je sais peu de choses sur lui. C'est ainsi. Il a reçu le SMS.
Sur le trajet qui me conduit chez la procureure, je pense à la nuit que j'ai passée. J'ai beaucoup trop bu, définitivement. Je ne m'en prendrai qu'à moi-même. A Clément aussi. D'ailleurs, ce Clément... Quand je lui ai dit que nous pourrions être qu'un coup d'un soir, son baiser n'a jamais été aussi langoureux. En réalité, je ne m'inquiétais pas vraiment de son comportement mais plutôt du mien. Ai-je, et surtout, aurai-je, envie de le revoir ? Et lui ? Après tout, il devait sans doute rechercher une nuit sexuelle. Je ne peux pas encore lui offrir. Mon corps m'est encore trop étranger...
Et il y a Thimothée. Un inconnu qui a paisiblement passé une partie de sa nuit avec un vrai-faux couple. La situation est tout de même déconcertante. Il a l'air d'être un mec sain, c'est déjà une bonne nouvelle. Ce soir, je lui proposerai d'aller boire un verre pour que j'en apprenne plus sur lui. D'ailleurs, je vais lui laisser un message sur Grindr un peu ironique.
Je retrouve enfin la rue de la procureure et me gare le long du grand mur blanc qui sépare sa villa du trottoir. En cherchant mon portable dans les poches de ma veste, je sens une espèce de carton. Une large carte de visite. Celle de l'hôtel. Quelques mots écrits, suivis d'un numéro de portable, au verso :
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Hommes de Loi (B&B)
RomantizmParfois la vie nous ramène dans le passé, là où tout a commencé : Julien Daviau revient là où il a fait ses premiers pas. Mais tout a changé : homosexuel assumé (quelquefois dépravé), désormais commandant (aux méthodes souvent contestables mais tou...