- 5.1 - Infâme (version romancée)

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Je n'arrive pas à croire que Samuel et Stéphane aient pu nous mentir à ce point. A Isabelle. A moi. Chacun de leur côté. Samuel me met dans un état de nerfs incroyable. Il m'a sauvé la vie deux fois. Deux fois. Il m'a terriblement plu. Attiré. Pris au piège malgré lui. Aujourd'hui, j'ai l'impression que c'est lui qui est pris au piège. En mentant, ils nous ont perdus. Ils ont perdu leurs potentiels amis. Leurs potentiels appuis. Nous ne serons plus que leurs chefs.

Bien sûr, cette situation pourrait m'arranger. Elle est conforme à la décision que j'avais prise. La promesse que je m'étais faite, aussi. Cet été, quand je l'ai perdu, je m'étais promis de ne plus jamais permettre à mes émotions de s'exprimer dans ma vie professionnelle. Je ne voulais plus revivre le calvaire. J'ai failli recommencer. Finalement, je suis incapable de tenir mes propres promesses. Chaque coup d'œil que je jette dans le rétroviseur me fait frissonner, parce que j'y croise mon regard assombri par mes pensées.

Je n'ai pas envie d'aller au commissariat aujourd'hui. Je ne peux pas encore parler à Samuel, et encore moins à Stéphane. Je vais plutôt prendre des nouvelles des Thomas. Je décroche mon téléphone et compose le numéro de Marc. Il décroche aussitôt.

« Julien ! Quel plaisir ! Comment vas-tu ? Enfin, allez-vous ? Je ne sais pas si je peux me permettre, commença-t-il si rapidement.

— Bonjour Marc, n'hésite pas, vous n'êtes plus dans mes enquêtes. Je t'appelais juste pour m'assurer que vous alliez bien, que vous étiez remis et surtout que vous aviez vu des médecins.

— Précisément, Favian est chez son médecin avec un psychologue pour échanger sur notre agression. Il ne saurait être là avant 13 heures. Je t'en prie, fais-nous plaisir, veux-tu déjeuner avec nous ? »

Je ne sais pas quoi lui répondre. Je suis en service, ce sont d'anciennes victimes, je les apprécie, visiblement eux aussi. Ma nuit mouvementée, mais agréable bien sûr, m'a complètement épuisé. Mon esprit est embrouillé, comme si tous les sentiments se mêlaient et défilaient l'un après l'autre sous mes yeux. Je parviens à rire aux éclats en écoutant la radio comme à être ému aux larmes en pensant à tout ce qui a pu se passer il y a trois mois ; et ce en moins de quelques minutes. Je crois que le terrible mélange que je me suis amusé à consommer a planté son drapeau dans mon crâne abdiquant. Alcool, émotions fortes, amour, amitié, je suis vaincu. Heureusement que j'ai décliné le sexe. Mais... Amour, ai-je bien lâché ce mot dans mon tortueux esprit ?

« Julien ? M'as-tu entendu ? »

Je dois me l'avouer, je ne suis capable de rien aujourd'hui. J'ai des courbatures aussi violentes que si j'avais participé à une compétition sportive. L'absence de sommeil a empêché mes muscles de récupérer. Bref, j'ai besoin de sortir la tête de l'eau.

« Excuse-moi Marc, avec grand plaisir.

- Parfait ! Je t'attends pour 14 heures. »

Sans même avoir eu le temps de lui répondre, Marc raccroche. C'est une heure bien tardive pour déjeuner. Rangeant mon téléphone, je quitte la route des yeux et manque de percuter la voiture qui me précède. Il faut que je me ressaisisse. Je me gare proche du trottoir, saisis ma bouteille d'eau et les quelques gorgées que je bois me font avoir un haut-le-cœur. Je suis si mal. Je tremble. La tête contre le volant, je n'arrive même pas à la relever. Je suis pris de vertiges terribles, si forts que le reste du monde semble tanguer de gauche à droite.

Je n'aurais pas dû fermer les yeux. Je suis de nouveau sur le parking, comme il y a quelques mois. Grégoire, à ma droite. Tout est si clair. Je jurerais d'y être. Il nous fait face, celui que nous traquions depuis des années. Un sourire narquois. C'était tellement prévisible. Il ne serait jamais resté désarmé. Grégoire lui parlait pendant que je vérifiais discrètement qu'il n'avait pas de complices cachés.

Hommes de Loi (B&B)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant