Je n'ai pas pu résister. Lui résister. Il est là, devant moi, ses yeux plantés dans les miens, remplis de surprise. J'ai fait une connerie, sûrement. Je suis allé trop vite. C'est moi qui lui avais dit que je ne voulais pas qu'on se trompe, que la vitesse pourrait être fatale, qu'il n'y a rien de pire que ces couples qui se disent je t'aime en quelques jours. Savent-ils seulement ce qu'est l'amour ? C'est ce que je disais. Avant. Avant de l'avoir rencontré.
Bien sûr tout a commencé par de l'alcool. Oui, le sexe a précédé les sentiments. Ce n'est pas la plus belle manière de se rencontrer. Mais y en a-t-il seulement une ? Faut-il continuer à nous faire croire qu'un jour un bel inconnu se retournera et viendra déclarer sa flamme ? A la fois on moque les couples qui finissent ensemble en quelques jours et à la fois on voudrait qu'un coup de foudre nous tombe dessus, qu'on se marie et qu'on finisse notre vie avec cette même personne.
C'est tellement absurde. Je n'ai pas à rougir de la manière dont j'ai rencontré Clément. Oui, c'était un soir où j'étais triste. Oui, nous avons beaucoup bu. Oui, il y a eu une tension charnelle et sexuelle entre lui et moi. Mais depuis. Après la rencontre, il y a la vie. La présence. Le quotidien. Le partage. La découverte. Ce n'est pas une rencontre qui définira notre relation. C'est ce que nous en faisons.
Surtout, je ne lui ai pas dit je t'aime. Je n'ai pas soudainement fait bousculer notre relation dans une autre dimension. Je lui ai juste demandé s'il voulait bien de moi. Si le jeune homme qu'il est, avec son physique charmeur, son charisme sans doute lié à sa profession, avec son caractère forgé à l'armée, avec son autonomie impressionnante et surtout avec son indépendance, si tout ce jeune homme donc, était prêt à m'accepter.
Qu'à mon tour je sois présent, que je sois là, un peu plus, au quotidien, avec et pour lui. Que nous sortions, ensemble, et plus seulement pour nous découvrir. Que nous apprenions à vivre à deux pour peut-être nous rendre compte que nous nous aimons. Peut-être. Je n'ai jamais été amoureux. Je ne sais pas ce que c'est, moi non plus. Peut-être que je le suis déjà, dans ce cas j'imaginais ce sentiment tellement plus fort. Peut-être que je ne le suis pas, et que je ne le serai jamais avec lui. Mais peu importe. Je veux savoir.
Les yeux dans le vague le temps que toutes ces pensées se mêlent et viennent mourir au creux de ma conscience, je me rends compte que Clément n'est plus là. Non, il n'est plus sous mes yeux. Ni sur le lit. Ni dans la suite. Il n'est plus là. J'allais lui parler. Lui parler de la dernière chose qu'il ne sait pas. Et il n'est pas là.
J'aurais envie de réveiller Samuel, pour qu'il me réconforte. Non, c'est une mauvaise idée. Je me tourne plutôt vers la salle de bains, m'appuyant sur les murs pour éviter de tomber. Je me sens nauséeux, pris de vertiges. Mais ce n'est pas comme d'habitude. Il n'y a pas les coups de feu. Il n'y a pas les images ensanglantées. Il n'y a pas Grégoire jonchant le sol alors que je saigne abondamment de la tête. Non, il y a juste le néant.
En voulant m'assoir contre la baignoire, je manque de tomber en trébuchant sur le tapis. J'allume la lumière et le vois, là, assis en équerre par terre : « Pourquoi tu n'as pas répondu ? ». Quoi ?! Moi ? Je n'ai pas répondu ? Il plaisante ?!
« Mais, Clément, c'est toi qui n'as rien dit...
— Quand tu m'as dit si je voulais de toi... Je t'ai dit que moi je te voulais comme petit-ami... Et là tu t'es figé. Tu n'as rien dit.
— Je ... Mais ... Il faut que je te parle.
— Non, j'ai compris, je suis allé trop vite et je suis désolé. Si Samuel n'était pas là j'irais dormir sur le canapé, crois-moi.
— Tais-toi et écoute-moi ».
Me laissant glisser contre la baignoire moi aussi, je m'installe contre lui, sans le toucher. Nous sommes côte-à-côte, regardant en face de nous. Il est temps qu'il sache. Je me l'étais promis. Alors j'ai tout repris. Tout raconté. Les coups de feu dans le dos, Grégoire se jetant contre moi, l'hôpital. En prenant soin de cette fois-ci lui dire la vérité. Si je n'étais pas présent lors de ces tristes moments, c'est parce qu'ils m'opéraient. Ils essayaient de retirer la balle qui était là, au sein de mon crâne. Elle n'avait pas atteint mon cerveau, parce que Grégoire était là. Je ne sais pas si c'est parce qu'elle l'avait touché avant moi ou si c'est parce qu'il m'avait déporté. Dans tous les cas, je suis vivant grâce à lui, grâce à eux.
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Hommes de Loi (B&B)
RomanceParfois la vie nous ramène dans le passé, là où tout a commencé : Julien Daviau revient là où il a fait ses premiers pas. Mais tout a changé : homosexuel assumé (quelquefois dépravé), désormais commandant (aux méthodes souvent contestables mais tou...