Des années que je n'avais pas mis les pieds dans ce bâtiment. J'y ai tout appris, tout compris, tout perdu aussi. Le temps était passé et tout cela me convenait parfaitement. Après tout, qui a envie de revenir là où tout a commencé ? D'autant plus maintenant que c'est à cause de ce foutu métier que tout va de travers. Il a fallu qu'il fasse l'erreur du siècle, me forçant à revenir ici. Je ne lui pardonnerai jamais. Et pourtant, il faudra bien un jour que je me décide à aller le voir.
Je ne suis plus le simple débutant, comme avant. Mais revenir ici me rappelle tous les souvenirs de mes débuts. Comme il y a six ans, sur ces mêmes marches, la peur de rentrer. Est-ce que tout a changé ? Vais-je croiser des anciens collègues, qui m'ont vu me faire muter sans sourciller, voire avec plaisir ? Rien que cette idée me donne des vertiges, je manque de tomber. Ils m'ont fait connaître l'enfer, et personne n'a rien dit, ni les collègues ni la hiérarchie. Vraiment, je ne lui pardonnerai jamais de m'avoir fait revenir ici.
Toutes ces pensées m'ont engourdi, entre la colère, la mélancolie, la haine, et peut-être aussi la peur après tout. Tout se mélange dans ma tête, entre ce que j'ai vécu ici, et surtout tout ce qu'il s'est passé il y a deux mois. Tout est entaché, souillé. Ma vie est empoisonnée depuis juin. Et mon chef n'a rien trouvé de mieux que de m'envoyer en vacances pour l'été. Comme si cela pouvait suffire. Décidément, ils n'ont rien compris. Ils ne comprennent rien de ce que j'ai vécu. Ils étaient compatissants, à me faire des regards abattus. Mais rien ne les a empêchés de me renvoyer ici.
Hôtel de Police. Je regarde ma montre rapidement, voilà déjà une heure que je suis devant ce bâtiment. Il n'a plus rien à voir avec celui de mes souvenirs. Ils l'ont modernisé, rénové, rendu plus chaleureux. Peut-être que ce vernis de nouveauté me permettra d'estomper les mauvais souvenirs. Je n'en suis pas sûr. Le disque rayé qui me sert de cerveau tourne en boucle, et plus je réfléchis, plus j'ai mal. Un mal de tête ignoble, comme si un couteau avançait peu à peu dans mon crâne. Non, pas un couteau. Une balle.
La douleur devient terrible, j'entends des coups de feu. Mais je ne vois rien, je suis aveuglé par une lumière blanche qui vient du bâtiment. Ou plutôt du parking. Non, du ciel. De partout. Des coups de feu, encore. Mais aucune blessure, aucune balle ne me traverse. Juste cette lumière terrifiante et cette douleur dans la tête. Mon tour est venu, c'est terminé.
Je me sens tomber, mais peu importe, tout revient. Les coups de feu ont cessé, la lumière s'est éteinte. Je suis toujours sur les marches de l'Hôtel de Police. Mais allongé sur le côté, avec ma main tendue, qui serre une autre main. Ou plutôt est-ce la sienne qui me serre. Très fort. Trop fort. Elle me fait mal. Ou plutôt il me fait mal. En ouvrant légèrement les yeux, je perçois bien que c'est un homme. Ses cheveux sont un peu longs mais c'est bien un homme.
J'ai envie de lui gueuler dessus, de lui dire de me lâcher, de me laisser me remettre debout. Je n'y parviens pas, faible comme si j'avais été drogué. Petit à petit, en reprenant mes esprits, je comprends qu'encore une fois ma tête m'a joué des tours. Un jour, ça arrivera en conduisant ou dans ma douche, et je finirai broyé ou noyé. Je verrai bien.
« Monsieur ! Monsieur ! Revenez avec moi ! ».
Je ne suis pas parti, c'est bon, qu'il me lâche. Je ne sais pas qui est ce mec, mais déjà il m'agace.
« Vous m'entendez ? Serrez ma main si vous m'entendez ! »
Tu veux que je te serre la main ? Tu vas voir. D'un bond, je me sers de lui comme appui pour me lever, et me voici debout en une seconde, sa tête se retrouvant au niveau de ma ceinture. Euphorique, je ne résiste pas à un petit sourire narquois. Je vois bien qu'il ne comprend rien. A la fois il a l'air réjoui que je sois sur pied, à la fois il a l'air dépassé par ce qu'il vient de se passer.
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Hommes de Loi (B&B)
RomanceParfois la vie nous ramène dans le passé, là où tout a commencé : Julien Daviau revient là où il a fait ses premiers pas. Mais tout a changé : homosexuel assumé (quelquefois dépravé), désormais commandant (aux méthodes souvent contestables mais tou...