Samuel.
Je suis désolé que tu aies à l'apprendre par une lettre. Je sais que je n'aurais pas réussi à te le dire autrement.
Je ne suis plus moi ici. Je ne me sens plus capable de diriger des équipes de police. Je ne crois plus en la mission dont j'ai été investi. La vie policière a entamé ma vie privée pendant de trop longues années. J'ai trop souffert pour continuer à servir la tête haute.
Les médailles, les conférences de presse d'adulation et d'adoration, les récompenses, les félicitations ; tu sais combien tout cela me dépasse et, au contraire, me met mal à l'aise. Cet élan positif, enthousiaste autour de moi a eu raison des derniers recoins de motivation dont je disposais.
Samuel, je ne suis plus capable d'être là. Des amis nous ont proposé de les rejoindre en Espagne. Clément dirigera un hôtel là-bas et je serai dans l'enseignement désormais.
Samuel. Je ne te mentirai pas. Je ne suis plus capable d'être là avec toi. Ne crois pas que je pars à cause de toi. Ce serait une erreur. Je pars parce que je ne supporte plus cette ville, ce commissariat, le seul mot de commandant.
Mais je sais aussi que je ne suis pas capable de te pardonner. Je ne sais pas gérer des sentiments qui passent de l'affection à la colère, de l'amitié à l'agacement. Je ne sais pas comment faire. Et toi, tu as mieux à faire.
Je n'oublierais jamais que tu as été là pour moi. Ne crois pas, d'ailleurs, que j'ai essayé de compenser ton aide et ta présence par l'infiltration. Là aussi, ce serait faux. Non, je l'ai fait parce que je tiens à toi.
Retiens ceci de cette lettre. J'ai été heureux de faire ta connaissance. Désormais plus serait trop. C'est égoïste penseras-tu peut-être. Tu auras sûrement raison.
Grégoire avait réussi à m'entraîner dans son combat. Il avait décidé de se battre contre le grand banditisme. Il est mort en me protégeant. Tu m'as sauvé la vie deux fois. Je ne tiens pas que la troisième ce soit au prix de ta vie.
Je t'embrasse. Et Clément se joint à moi.
Julien
PS. Je resterai quand même disponible pour toi. Demande à Isabelle mon numéro si tu le veux. Je te répondrai depuis l'Espagne.
Je relis régulièrement la lettre que j'ai laissée à Samuel. Isabelle m'a dit ce matin qu'il l'avait conservée. Elle est là, dépliée, sous la glace de son bureau. Parfois, elle le surprend en train de la relire. Il lui a demandé mon numéro, mais ne m'a pas appelé ou écrit. Il lui a aussi demandé mon adresse. Mais nous n'en avons pas encore.
L'arrivée à Barcelone a été si précipitée que nous logeons avec Favian et Marc à Barcelone et parfois à Madrid. C'est un appartement assez simple, de taille moyenne mais qui est pour l'instant parfait pour nous quatre, surtout quand les Thomas sont en déplacement. Personne ne semble pressé pour que nous trouvions un logement. Nous sommes bien tous les quatre. C'est si surprenant.
Isabelle et moi nous téléphonons tous les deux jours. Elle évite de me parler du travail mais je ne peux m'empêcher de jouer les consultants. Elle m'assure que grâce à moi elle aurait résolu deux enquêtes. Je pense que c'est surtout de m'en parler, donc de remettre en perspective les choses, qui l'a permis. Je lui raconte de mon côté mes journées à Barcelone, une ville que j'apprends à découvrir, peu à peu. Je n'ai eu qu'un seul cours avec les étudiants, mais j'aime déjà ces moments avec eux. Quant à Thimothée, nous échangeons sur une conversation à trois, avec Clément. C'est assez amusant finalement.
Souvent, le soir, j'aime me balader le long de la Mer Méditerranée. Je regarde la lumière qui se reflète sur l'eau. Je remonte le col de mon manteau parce que le vent souffle. De temps en temps je jette un œil en hauteur. Je sais qu'il me regarde. Clément, sur la terrasse, m'observe. Il sait que j'ai besoin de ces moments de solitude. Je pense à lui. Je pense à Isabelle. Je pense à Samuel.
J'espère qu'il m'aimera.
J'espère qu'elle sera là.
J'espère qu'il m'écrira.
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Hommes de Loi (B&B)
RomanceParfois la vie nous ramène dans le passé, là où tout a commencé : Julien Daviau revient là où il a fait ses premiers pas. Mais tout a changé : homosexuel assumé (quelquefois dépravé), désormais commandant (aux méthodes souvent contestables mais tou...