- 8.1 - Jeu

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« Je n'ai toujours pas osé recruter un remplaçant. Je ne veux pas le remplacer.

— Je comprends Isabelle... Vous le savez bien...

— J'en profite pour m'excuser. Mes paroles ont été plus vite que mes pensées lorsque je me suis emportée contre Samuel. Je n'aurais jamais du parler d'une telle chose, devant vous, évidemment.

— Passons. Je m'inquiète davantage pour vous. Je savais que vous étiez affectée. Mais pas à ce point.

— Je suis devenue insomniaque. Dès que je ferme l'œil, il est là, à me regarder quand je lui ai demandé d'aller dans mon bureau. J'ai l'impression d'avoir été son bourreau, que je suis responsable.

— Les responsables seront bientôt dans nos salles d'interrogatoire. Et nous ne les lâcherons pas, je vous le promets.

— J'attendrai mille ans s'il le faut ».

Son regard est aussi noir qu'il y a des années quand je venais de lui rapporter les cas de harcèlement dont j'avais été le sujet. A l'époque, je m'en voulais. Je pensais que j'étais responsable. A l'époque, je pensais que tout était ma faute. Après tout, c'était moi le gay, le différent. Il faut vraiment être désorienté pour penser ça. Ce qui me fait immédiatement penser à Adrian. J'ai une dette envers ce garçon.

La porte s'ouvre enfin devant nous, alors que Samuel me fait un signe de la main, comme si nous ne devions pas l'attendre. Une femme nous ouvre, aux antipodes d'Isabelle. Les cheveux courts mais blonds, un style résolument jeune, qui lui va à merveille. Un immense sourire aux lèvres, elle se présente. Elle n'est autre que la directrice de l'école. Isabelle ne peut cacher son plaisir qu'une femme soit aux manettes de l'institution. La directrice plaisante alors :

« Vous savez, la plupart du temps, lors des réunions des responsables d'écoles comme la nôtre, mes collègues pensent que je représente les étudiants. Dans ma tête, j'ai 25 ans, je suis comme mes étudiants.

— Et vous n'avez pas de problème d'autorité, sauf mon respect ? se risque Isabelle.

— Parler d'égal à égal à de futurs ingénieurs, c'est finalement les tirer de leur confort. Beaucoup d'entre eux aiment recevoir des devoirs, des missions, des ordres à effectuer. Finalement, en rompant cette relation hiérarchique, c'est déjà un travail sur eux que nous faisons. Qui plaît à tout le monde : à leurs proches mais aussi à leurs recruteurs.

— C'est une philosophie intéressante... confiai-je.

— Et opérationnelle ! Le risque étant que la confiance qui se développe rapidement chez nous conduise à des drames. Et c'est pour cette raison que j'ai déposé plainte.

— Finalement, Madame la directrice, que savez-vous ?

— Chaque année, les nouveaux étudiants sont accueillis lors d'un week-end d'intégration qui se déroule loin des murs. Ce sont les anciens étudiants qui organisent, grâce à leur association, le transport, le logement et surtout l'alcool.

— C'est là que tout dérape en général... soupire Isabelle.

— D'après la jeune fille qui est venue se plaindre à moi, pas exactement. Dans l'après-midi, bien avant que l'alcool ne soit de la partie, les deuxièmes années ont proposé une série de jeux, auxquels ils ne devaient pas se soustraire au risque que des gages ne leur soient donnés. C'est alors que garçons et filles sont mis dans des situations humiliantes, parfois nus. Des surnoms fusent, des rumeurs circulent, des actes sont forcés. Aucun viol selon elle, ni agression sexuelle. Mais des actes mimés, des paroles, des imaginations. Puis, effectivement, le soir, de plus en plus d'alcool. Il n'y avait pas d'eau. Ils leur faisaient croire que c'en était. Bref, une horreur. C'est alors que cette étudiante a été forcée à lire un discours qu'ils avaient écrits, remplis de perversités. Le tout filmé bien entendu. ».

Hommes de Loi (B&B)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant