- 10.2 - Russie

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Six jours. Il m'a fallu six jours pour sortir de la torpeur. Je ne suis pas retourné au commissariat. Isabelle, Samuel, Thimothée, les inspecteurs, tour à tour, ils venaient à mon chevet. Je n'étais pas alité ou souffrant, non. J'ai juste atteint le point de non-retour. Je le pensais. Je le savais. Maintenant, j'en suis sûr.

Je ne me souvenais que du nom. C'est Clément qui m'a tout raconté ensuite. Une crise a commencé. Comme il fallait s'y attendre. Contrairement à d'habitude, j'ai commencé à saisir des objets et à les jeter. Une vraie crise de panique. Une réelle inquiétude, profonde. Une bouffée délirante.

Puis les flashs ont débuté. C'est ce qui a fait peur à Clément. Sont venus les coups de feu ensuite. J'ai revécu la scène de la mort de Grégoire une énième fois. La fois de trop. Clément a réussi à me calmer en utilisant le même procédé. Il m'a saisi, m'a serré, s'est frotté à moi. J'imagine le malaise des autres policiers, et surtout les coups qu'il a du recevoir malgré lui. Dans ma psychose, je ne maîtrisais plus rien.

Il a réussi. Je me suis calmé. Rapidement. Ce passage rapide d'un état à l'autre a profondément effrayé l'équipe. Personne n'aurait du savoir. Pas même Clément. Il est malgré lui en train de supporter le monstre qui sommeille en moi. La balle qui a définitivement tué Grégoire et blessé mon cerveau.

Evidemment que j'aurais du y penser. Evidemment. J'ai eu un frisson le jour où Samuel a parlé de Magnussen, l'ami escort de Stéphane. Qu'il soit désormais auprès d'un russe avait réanimé mes souvenirs. J'avais réussi, malgré tout, à les contrôler. J'en avais fait une vulgaire coïncidence qui n'avait rien à voir avec mon passé. Et pourtant.

Mishin. Présent devant moi. Désarmé soi-disant. Mishin. Tuant Grégoire. Tombant au sol. Mishin. Tirant sur moi. Encore conscient alors que j'aurais sans doute voulu mourir avec lui. Mishin. Partant dans un éclat de rire tout en quittant la scène qu'il imaginait être un double meurtre. Ce nom est dégoûtant. Il dégouline en bouche. Il est laid. A l'image de son propriétaire, qui multiplie les cicatrices autant que les ennemis.

Grégoire s'était mis en tête de l'arrêter. Déjà, il y a quelques années, il manigançait autour de la prostitution, de l'escorting, de la drogue. Il mêlait les genres tout en mettant un point d'honneur à expliciter leurs différences. L'escorting n'a rien à voir avec la prostitution. Nous avions même eu droit à un cours complet sur le sujet durant une de ses garde-à-vue.

Brillant, inarrêtable, reconnu, Mishin vivait une vie de rêve. D'un côté une vie bien rangée de magnat des affaires, de l'autre génie du grand banditisme. Probablement ledit réseau lyonnais. Entouré de ses propres escorts, hommes et femmes. Monsieur consomme les êtres humains comme il fume une cigarette. Evidemment, quand je me suis réveillé, il a du fuir. Mes accusations lui ont valu un mandat d'arrêt international.

Je suis désolé Grégoire. Mais c'était ton combat. Ca n'a jamais été le mien. J'ai voulu tenir. Je n'en suis pas capable. Il faut se l'avouer. Alors aujourd'hui, je l'ai décidé, j'arrête tout. Vraiment tout. Les journalistes, la hiérarchie, les équipes à commander, le ministère. Ils ont eu raison de mes dernières parcelles de volonté. C'en est trop.

Clément a parfaitement compris ma décision. Etant donné que ce sont des arrêts maladie qui ont créé mes vacances, parfois forcées, j'ai de nombreux jours de congés à rattraper. Je ne vais pas m'en priver. Et une fois terminés, je démissionnerai. Ou me mettrai en disponibilité. Peu importe. Je veux partir. Vivre autre chose. Ne plus me battre pour ce qui ne me concerne plus. Ce serait trop me demander.

Lors de la dernière venue de Thimothée, Clément a prétexté que je dormais, encore trop fatigué. C'était faux. J'étais en pleine forme. Mais je ne voulais pas le voir. C'était tôt. J'avais plutôt envisagé un déjeuner tous les trois. Et c'est aujourd'hui. Clément a demandé à son chef de préparer un menu spécial pour moi, pour me redonner des forces dit-il. Je ne suis pas inquiet de la qualité du déjeuner, mais je doute plutôt de ma capacité à l'honorer pleinement.

Hommes de Loi (B&B)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant