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Enfance.

Manjiro passait une mauvaise journée. Il ne saurait dire s'il s'était levé du mauvais pied, mais tout l'énervait. Ses sens étaient à un point des plus irritables. Le simple cliquetis d'un stylo, des bruits de pas crissants, des exclamations de voix, des bousculades, ou même les pages d'un cahier qui se tournent ; tout semblait décuplé à ses oreilles et il hésitait à enfoncer ses doigts dans ses oreilles pour ne plus rien entendre. Manjiro réprima un énième maux de ventre qui lui signalait que la faim prenait le dessus. Attendant d'être servi, Manjiro gardait fermement son plateau dans ses mains, ses écouteurs dans les oreilles qui ne diffusaient aucun son. Il ignora bien la cuisinière qui lui demandait de les enlever. Elle se ravisa quand le jeune garçon lui adressa un regard noir à faire froid dans le dos.

Manjiro récupéra son plateau composé seulement d'un pain, d'un verre, de riz et d'un taiyaki en dessert enfermé dans du plastique. Manjiro jeta un vague regard au réfectoire ; d'un côté les gens en groupe d'amis, d'un autre côté, des gens que Manjiro ne supportait pas. Il partit au fond du réfectoire, le menton un peu haut et blasé comme à son habitude, de la colère en plus dans les yeux. Manjiro posa son plateau sur une table seule, tira la chaise et s'y assit. Par mauvaise journée, son ami Draken n'était pas là non plus. Manjiro allait manger seul, aujourd'hui. Manjiro lâcha un soupire exaspéré et prit entre ses baguettes en bois, quelques grains de riz et les mangea. Des gens non loin de lui parlaient un peu trop fort et riaient parfois aux éclats. Manjiro inspira et expira intérieurement mais sa colère ne faisait qu'empirer à chaque seconde, comme une flamme sur une mèche de bombe.

Quelqu'un le bouscula à l'épaule.

Mikey retira doucement ses écouteurs, un à un, dans un calme extérieur olympien, ses baguettes avaient été posées sur son riz ; mais il se leva brusquement, faisant tomber sa chaise et son verre se brisa par terre. Sans plus attendre, Mikey ramassa un des bouts de verre en forme triangulaire ; le réfectoire s'était tut ; Mikey rattrapa celui qui l'avait bousculé sans s'excuser et d'un coup dans les genoux, il le fit tomber par terre. Son poing saignait à cause du verre qui avait perforé sa peau mais il n'en avait cure de la douleur ; la colère noire dans laquelle il était empêtré, aveuglait sa prise de décision. Mikey se souvint à peine du moment où le verre avait ensanglanté la mâchoire de son camarade aux cheveux platines.

***

Après l'altercation, Mikey avait été convoqué de toute urgence dans le bureau du directeur et son renvoi pour plusieurs jours n'était que le début d'un long cauchemar. Dans les couloirs, certaines personnes s'écartèrent vivement de lui, le regardèrent de travers, s'éloignèrent au pas de course. En à peine une journée, Mikey était passé d'élève un peu turbulent mais respectable, à un taré qui s'amusait à mutiler ses camarades. Suspendu des cours pour le reste de la journée, Mikey n'attendit pas que son grand-frère, Shinichiro, vienne le chercher, il s'éclipsa en douce de l'école par derrière. Il ne comptait pas y revenir. Mikey laissa une trace de son passage en jetant un pavé sur une fenêtre des toilettes et partit en courant en entendant des cris.

Mikey entra à l'arrière du bus sans avoir validé son ticket — il avait sa carte mais il était d'une humeur massacrante, même la grand-mère qui l'avait vu, n'osa rien dire. Mikey enfonça ses écouteurs dans les oreilles, le regard perdu entre la fenêtre et la route. Le paysage dévale sans fin, les lignes de l'horizon se confondant avec la vitesse prenante du transport en commun. À l'arrêt suivant, alors que le bus allait repartir, une main se plaqua contre la vitre juste à côté de Mikey qui faillit sursauter de peur. La personne à l'extérieur tape à répétition en courant après le bus. Mikey fronça les sourcils. Le bus finit par s'arrêter et prit le passager à bout de souffle. Mikey ne détacha pas ses yeux de lui, ou plutôt de la cape rouge qui flottait dans son dos. Le garçon — sûrement du même âge que lui —, valida son ticket de bus et traversa les rangées de sièges occupés. Plus il avançait, plus Mikey fut piqué d'un vif intérêt pour lui, comme si sa seule présence avait illuminé sa journée. Le garçon inconnu s'excusa en trébuchant sur un sac et ses yeux bleus pétillaient d'une lueur curieuse et enjouée ; tout le contraire de Mikey. Pensant qu'il allait s'asseoir, Mikey s'étonna que le garçon s'assit juste à côté de lui. Il le salua, et Mikey retira ses écouteurs.

- Bonjour !!

C'était flou. Mikey n'arrivait pas à lui répondre, encore moins à détacher son regard de lui. Que dire ? Que répondre ? "Bonjour" en retour, c'était facile, non ? Mikey ne pouvait pas. Sa colère était étouffée par autre chose. Il n'en savait rien. Mais sa première rencontre avec Hanagaki Takemichi était restée gravée dans sa mémoire, même s'ils n'étaient restés à côté qu'à peine quatre minutes. Takemichi était descendu le premier. Et Mikey ne l'avait plus revu sur cette ligne de bus. 

𝐭𝐚𝐤𝐞 𝐲𝐨𝐮 𝐭𝐨 𝐡𝐞𝐥𝐥 | ₍ᐢ ̥ ̮ ̥ᐢ₎ 𝐭𝐫Où les histoires vivent. Découvrez maintenant