𝐭𝐚𝐤𝐞 𝐲𝐨𝐮 𝐭𝐨 𝐡𝐞𝐥𝐥 | ₍ᐢ ̥ ̮ ̥ᐢ₎ 𝐭𝐫

⁴⁵

- Est-ce que tu as faim ?

La question se répercutait en écho dans la tête de Takemichi. Il s'attendait plus ou moins à ce que Mikey lui demande au moins si ça va. Ou dans le pire des cas, le menacer de ne pas s'enfuir. Mais la question sidéra Takemichi. Mikey ne l'avait pas lâché du regard. Ses yeux noirs transperçaient Takemichi, scrutant ses moindres faits et gestes, presque sur leurs gardes. Takemichi se vit de nouveau dans son appartement, confronté à Mikey, confronté à un visage taillé dans la glace, confronté à une aura terrifiante. Que devait-il faire ? Se plier aux règles du boss du Bonten ou jouer un esprit rebelle ? Takemichi déglutit difficilement et avant même qu'il n'ait le temps de parler, Mikey le coupa net :

- Takemitchy.

Takemichi frissonne, à présent terrifié par ce surnom qui ne sonne plus de la même manière à travers la voix de Mikey. Cela sonne faux. Takemichi a l'impression qu'à tout moment, il pourrait se faire rouer de coups et d'insultes. Mais Mikey n'en fit rien, il l'invite même à s'asseoir sur ses coussins. Takemichi ne bouge pas, les poings serrés, les bras le long du corps, les yeux empreints d'une infinie tristesse et les larmes à ses lèvres, impuissant. Mikey détaille son expression faciale d'une curiosité étrange. Peut-être car il n'a jamais pleuré de cette manière ou qu'il ne comprend pas la réaction de son ami. Cette fois, Takemichi se jette à l'eau :

- Où est Chifuyu ?

De ses yeux profondément noirs, Mikey creuse un peu plus ce qui émane de Takemichi ; il n'y parvient pas, c'est à la fois complexe et simple, et Mikey n'aime pas ce qu'il ne comprend pas. Il penche la tête légèrement sur le côté, son regard vide ne lâche pas Takemichi et n'importe qui aurait pris la fuite.

- Il est parti.

Mikey pose sa main sur l'épaule de Takemichi et lui chuchote à l'oreille ; un ton trop calme et glacial à la fois :

- Ça n'a plus d'importance. Tu es là, maintenant.

Du coin de l'œil, Takemichi n'aperçoit de Mikey que l'esquisse d'un sourire et un éclat sombre dans ses prunelles. En terme d'inspirer une peur mortelle à quelqu'un, Mikey garde la première place. Takemichi ne se sentait même pas soulagé de savoir que Chifuyu n'était plus au Bonten. Takemichi ne pouvait pas s'empêcher de penser au pire. Dans ce cas-là, quel profit Mikey pouvait tirer en lui mentant ? Takemichi savait que s'il ne se pliait pas aux règles de l'organisation criminelle, une balle entre les deux yeux règlerait vite l'affaire — Sanzu s'en donnerait à cœur joie — ou des substances illégales dans le sang jusqu'à ce que mort s'ensuive. Obéir. La seule et l'unique règle. Au-delà de la fidélité, l'obéissance est un maître.

- Donc, est ce que tu as faim ? reprend Mikey, avec un peu plus d'entrain.

Takemichi bafouille, perd ses mots, fixe le sol.

- Oui ou non ? insiste-t-il, chaque mot haché, broyé par une menace planante.

Takemichi secoue vivement sa tête pour dire non, serrant davantage ses poings, plantant ses ongles rongés dans ses paumes de main.

- Tu vois. Ce n'est pas compliqué de répondre.

Mikey lui tapote l'épaule, presque amical. Il n'en est rien. Il veut l'ascendant sur son ami. Quitte à lui rappeler certaines règles de savoir-vivre.

**

Jusqu'au crépuscule, Takemichi ne bougea pas de sa chambre. Il restait allongé sur le lit, les pensées évaporées, fixant le plafond, plus mal que jamais. Il avait un peu dormi cet après-midi. Un sommeil ponctué de réveils incessants et d'angoisses. Il ne pouvait s'empêcher de se demander comment allait Chifuyu, ce que Kazutora faisait en ce moment, ou même Yuzuha. Ses meilleurs amis devaient être rongés par l'inquiétude. Une haine brouillée. C'est ce qu'il ressentait envers Mikey. Takemichi avait beau retourner la situation dans tous les sens, rien ne faisait sens justement et le comportement de Mikey, encore moins. Comment pouvait-on arriver à un tel extrême ?

- Combien de temps vais-je rester ici ? Il ne va pas me laisser captif ici toute ma vie. Je dois trouver un moyen de m'échapper.

Par tous les moyens. Takemichi veillerait avec soin d'assez bien jouer la comédie — bien qu'étant un piètre menteur —, assez pour que Mikey lui fasse une confiance aveugle. Mais, que faire ensuite ? S'échapper du Bonten n'allait pas être une chose aisée. À moins de changer de visage, de nom, d'adresse et dieu-sait-quoi encore, Takemichi n'avait pas songé à s'aventurer sur ce terrain-là. S'échapper pouvait aussi signer son arrêt de mort ; les hommes de main de Mikey ne lui feraient pas de cadeau. Meika en avait fait les frais. Takemichi réprima un frisson désagréable et s'enfouit sous la couette. Ses pensées dérivèrent sur sa mère à l'hôpital. Toute cette situation devenait trop dure, trop lourde à porter sur son frêle dos.