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Melody s'approche de moi et me prend dans ses bras. Je crois qu'elle a aussi vu le regard d'Adam. Pendant cette accolade, j'en profite pour dévisager mon frère de trente-deux ans que je n'ai pas vu depuis onze ans.
Ses courts cheveux châtains me font penser à ceux de notre père, il y a bien longtemps déjà. Ses yeux marrons me fixent avec mépris, ce qui, malgré toutes les années, me peine un peu. Sa barbe est mal rasée, ce qui accentu son air méchant et renfrogné. Il me dévisage également de son mètre quatre-vingts quatre.
Ce regard me fait regretter d'être venue. D'avoir cru qu'en revenant, on aurait pu enterrer la hache de guerre. Mais je crois qu'il l'a plutôt déterré. Je relâche Melody, prenant mon courage à deux mains, et m'avance vers lui. J'ai l'impression d'aller moi-même me mettre sous la guillotine.

"Bonjour, Adam.
-Tu as pu venir, c'est étonnant.
-C'est tout de même le mariage de Melody. Je n'allais pas louper le mariage de ma sœur.
-Parce que tu te rappelle que tu as une famille. Je pensais que tu serais restée à New-York pour brasser quelques milliers.
-Eh bien tu te trompais.
-Commençons les photos, intervient Melody. Venez avec nous!"

Je suis le mouvement des quelques personnes des yeux, attendant de pouvoir me trouver une place. Adam passe à côté de moi, me foudroyant du regard. Je soupire et m'avance à mon tour vers le groupe. Je trouve une petite place à côté d'une ancienne connaissance.
Une fois les quelques clichés effectués -c'est-à-dire après plus de cinquante minutes-, nous pouvons rejoindre la salle des fêtes. Préférant rester un peu seule, je décide de partir à pied. Ma mère m'a prévenu que mon père avait fait emmener mes bagages directement sur place.
La légère brise de début de soirée me caresse délicatement la peau. Quelques frissons naissent sur l'épiderme de mes bras. Mais j'apprécie ce moment de calme. Augusta n'a pas changé. Je passe devant la petite boulangerie "chez Nany". J'y ai passé tant d'heure avec Melody avant mon départ.
Je suis un peu nostalgie d'une époque révolue, je le sais bien. Rien ne redeviendra comme avant. Jamais plus mon père sera fière de moi, jamais plus mon frère me respectera, jamais plus mes choix seront acceptés, et jamais plus je ne serais moi-même acceptée dans cette famille.
Je ferme les yeux en m'arrêtant. J'inspire profondément. Demain, tout sera finit. Et je ne reveindrais que pour le diplôme de Jackson. Ou alors je le ferais venir en vacances à New-York quand il sera en âge de voyager seul. Mais c'est décidé, plus jamais je ne reviendrais ici.
Sûre de cette nouvelle résolution, je rouvre les yeux et reprends mon chemin. Une quinzaine de minutes plus tard, j'arrive devant la salle des fêtes. De nombreuses voitures sont garées, et je reconnais malgré moi la berline noire de Nicoleau. Il faut dire qu'elle se démarque des vieilles Fiat Panda ou des tout-terrains.
Je m'avance vers l'entrée, où ma sœur et son mari accueillent les invités. Ils discutent, avec amusement, avec quelques personnes que je crois connaître. Il me semble qu'il s'agit d'anciens lycéens avec qui Melody a gardé contact. Je m'avance, pour me faire remarquer. John me sourit.

"Félicitations les mariés, je suis heureuse pour vous. Viens là que je t'embrasse encore une fois.

J'enroule ma sœur entre mes bras, au zénith du bonheur de la voir aussi comblée.

-Souriez!

Je tourne la tête vers ma mère et colle ma joue à celle de ma sœur. Nous sourions à ma mère, puis nous relâchons.

-Je te l'envoie, Sun'.
-Merci maman.
-Ah! Te voilà mon vieux! Je savais bien qu'il y avait ta voiture! Je me demandais où tu étais passé! s'exclame soudain John.
-Ta mère m'a demandé de l'aide pour la pièce montée. Comment refuser?

Je me retourne, commençant à m'habituer à cette voix plutôt grave et rocailleuse. Un sourire chaleureux me reçoit lorsque je croise ces deux prunelles marrons.

-Bonsoir.
-Bonsoir Sunny. Je ne pensais pas vous voir si tôt.
-Moi non plus.
-Vous vous connaissez? s'étonne John.
-C'est lui qui m'a repêché sur la route alors que j'étais bloquée.
-Et nous nous sommes retrouvés côte à côte à l'église. D'ailleurs, félicitations aux mariés, je vous souhaite tout le bonheur du monde. Et croyez-moi Melody, je sais que John n'est pas toujours vivable.
-Eh! Ne révèle pas mes pires secrets d'études ici!

Tout le monde se met à rire de bon cœur. Sauf moi. Je fixe Nicoleau, sentant d'étranges frissons agréables me chatouiller le ventre. Il remarque mon regard et me sourit. Je fais de même.

-Nous devrions aller nous installer, le buffet est à volonté, nous informe Melody.
-Alors allons-y."

J'hoche la tête et pars en première. Le panneau montrant les places de chaque invité se trouve directement sur la droite dès l'entrée dans la salle. Je cherche mon prénom.
Rapidement, je sens une présence s'immiscer derrière moi. Je n'ai pas besoin de me retourner pour savoir qu'il s'agit de Nicoleau. Je ne peux plus me mentir, il m'attire beaucoup. Et j'ai envie de lui. Mais c'est un invité, alors je ne peux rien faire. Dans d'autres circonstances...

"Nous sommes encore ensemble! Table 12. Vers la baie vitrée qui donne sur dehors.

Je me tourne finalement vers lui, vaincue.

-Il faut croire que le destin ne fait que nous réunir.
-Vous croyez au destin?
-Je crois uniquement en ce que je vois.
-Je vois. Allons nous installer, j'ai entendu votre sœur parler de votre discours. Vous passez la première.
-Quoi? Non, non, non! Je n'ai rien préparé. D'où lui sort cette idée? La première qui plus est!
-Une coupe de champagne vous détendra sûrement.
-C'est pire que de passer devant le conseil administratif pour présenter un nouveau projet.
-C'est possible. Vous me suivez?"

Je n'ai pas le temps de répondre que Nicoleau avance déjà. Je déteste qu'on me donne des ordres. Surtout venant d'un inconnu. Mais pourtant, venant de lui, cela ne me dérange pas.
Qu'a-t-il de plus? Je ne sais pas vraiment. Il semble sûr de lui, si à l'aise dans sa vie, fier de ses choix. Il doit être bien épaulé. Sûrement des proches attentifs et encourageants. Cette nonchalance semble lui coller à la peau. Il ne joue pas un rôle, il est lui-même.
Mais pourtant, il y a ce petit quelque chose qui me dit qu'il ne connaît pas tout de la vie. Ses relations avec la gente féminine -j'espère qu'il est bien hétérosexuel- doivent être très platoniques et ouvertes. Pourtant, j'ai comme ce pressentiment que ce Nicoleau a eu peu d'expériencez amoureuses.
Je soupire et décide de le rattraper. Me perdre dans mes pensées et mes réflexions inutiles ne changera rien. En quelques enjambées, nous arrivons à notre table, que nous partageons avec d'anciens amis des mariés.
Nous les saluons et prenons nos assiettes pour aller nous servir au buffet. Nicoleau est d'accord avec moi sur le fait que nous prenons en une seule fois ce que nous voulons pour ne plus avoir à nous lever ensuite. Je déteste faire des aller-retours inutiles.
Face au buffet, j'hésite entre des pommes de terre en salade ou du riz avec une sauce rouge, me semble-t-il. De toute façon, je n'ai pas vraiment faim. J'appréhende la suite de la soirée. La journée était beaucoup trop calme.
J'opte pour une cuillère de pommes de terre. Je me décale jusqu'au bar, attendant que Nicoleau finisse de faire ses choix. Un sourire étire mes lèvres lorsque je vois son assiette presque déborder. Pourtant, il hésite entre une côté de porc ou un steak saignant.
Je me tourne vers le barman, lui demandant une coupe de champagne, qui arrive rapidement. Je le remercie et récupère ce qui m'aidera à tenir toute la soirée. Nicoleau finit par me rejoindre, dévisageant avec une moue de dégoût mes maigres patates.
J'hausse les épaules, lui faisant comprendre que  peu m'importe le repas, et nous rejoignons notre table. Il pose son assiette, et me tire la chaise. Je lui souris et m'installe. Il s'assoit à ma gauche.

"Je ne vous savez pas aussi galant, Nicoleau.
-Je peux faire quelques efforts pour une femme en malnutrition.
-Je savais que vous finirez par dire quelque chose sur mon repas!
-Vous allez mourir de faim.
-J'en prendrais un peu chez vous alors."

Ma remarque provoque un léger éclat de rire chez lui qui me fait frissonner et qui fait naître une chaleur immédiate dans le bas de mon ventre. Comment parvient-il à faire éclore le désir chez moi avec un simple rire?
Je me maudis en silence d'être aussi faible face à ma libido et mon désir, que j'ai trop longtemps oublié au profit de mon travail. Et pourtant, comme le sexe est un domaine que j'aime. Si je dois passer plus que ces quelques heures offertes par cette soirée avec lui, je pourrais lui sauter dessus.

L'inconnu de la chambre 214Où les histoires vivent. Découvrez maintenant