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Une fois dans la rue, je cherche du regard la berline noire de Nicoleau. Mais rien à l'horizon. Je resserre les pans de mon manteau, sentant la brise gelée du soir me faire frissonner.
Je suis le brun qui avance vers le bord de la route. Où se trouve une... moto... Je m'arrête derrière lui alors qu'il ouvre le siège et en sort deux casques. Il se tourne vers moi.

"C'est... votre moto?
-Oui.
-Et je vais devoir monter dessus?
-C'est le principe, oui.

Je me mords l'intérieur de la joue, peu rassurée. Il s'approche de moi, glisse mes mèches derrière mes oreilles et me passe le casque. Il le ferme bien, m'offrant un sourire radieux.

-J'ai le droit d'avoir peur?
-Oui. Mais faites-moi confiance. Je n'ai pas peur, malgré un accident et...
-Un accident?

Il sourit en enfilant son casque. Il le ferme et monte sur sa bécane. Compte-t-il me répondre? Il me fait signe de le rejoindre.

-J'avais une vingtaine d'années. Je roulais sur l'autoroute et une voiture m'a dépassé. Sauf qu'elle roulait trop près, le type m'a rentré dedans, j'ai fini dans le décor. À une dizaine de mètres de ma moto.
-C'est atroce! Mais si vous êtes là pour m'en parler, c'est que ça s'est bien fini.
-Ça aurait pu être pire. Deux vertèbres compressées, un traumatisme crânien et un bras cassé.
-Nom d'un chien! Vous avez du souffrir. Et le chauffard?
-Un peu de prison, me semble-t-il. C'est surtout mon père qui s'est occupé de ça, j'étais en convalescence.
-Le plus important c'est que ce jour-là, il ne vous est rien arrivé de plus grave.

Je lui souris, impressionnée par cette histoire. Jamais je ne me serais imaginé Nicoleau en véritable casse-cou. Mais il faut croire que les apparences sont parfois très trompeuses.

-Bon, allez, montez. Et tenez moi bien."

J'hoche la tête et enjambe le véhicule. Immédiatement, il attrape mes cuisses, me tire contre son dos. Je glisse mes mains autour de son torse.
Il fait tourner sa clé et la moto se met à vibrer. Un petit cri me quitte. Je serre un peu plus fort Nicoleau. Je pose ma tête contre son dos tandis qu'il s'engage sur la route. Je ferme les yeux pour profiter des sensations nouvelles.
Je sens que tout défile à une vitesse folle autour de moi. Une fois la confiance prise, je me redresse et ouvre les yeux. Les lumières de New-York me sont à peine perceptible. La vitesse est impressionnante.
La route semble infinie sous les roues de la moto. Une sensation de totale liberté me prend aux tripes. Je crois que je pourrais rester toute la soirée sur cette moto, guidée par Nicoleau.
Ce dernier s'arrête à un feu rouge. Il en profite pour me lancer un regard. Je lui souris. Il me répond sincèrement. Il n'est pas question d'attirance, de désir, ou je ne sais quoi de sensuel et sexuel entre nous à ce moment précis.
Non. Il me partage des sensations nouvelles, intenses et entières. Il me partage une passion. Car je me doute qu'il ne fait pas de la moto uniquement pour une question de style ou de simplicité. Puisqu'il se déplace avec sa voiture pour le travail.

🥀🥀🥀

Je rends à Nicoleau son casque, qu'il range dans le siège de la moto. Je le regarde se tourner vers moi, son autre casque toujours planté sur son crâne. J'ai passé une soirée magique.
Tout était simple et pourtant si naturel. La conversation avec lui était naturelle, nos fous rires aussi. C'est comme s'il n'y avait aucun obstacle entre nous.
Il s'est peu confié sur sa vie personnelle, pour le moment. Je sais juste qu'il est fils unique, que ses parents sont toujours en vie et qu'il les voit souvent puisqu'ils habitent non loin de chez lui, à New-York.
Il m'a parlé de ses études, de ses passions. Et m'a posé beaucoup de questions sur ma carrière, ce que je compte faire après. Et je me suis sentie à l'aise, non sujette aux jugements.
Et je n'ai pas envie que tout s'arrête maintenant. J'ai apprécié faire la conversation avec lui. J'ai apprécié qu'il accepte cette sortie en "tout bien, tout honneur". Il n'est pas revenu sur le sujet initiation.
Je pense qu'il a comprit que j'hésitais, mais qu'il devait me laisser réfléchir et prendre une décision seule. Et j'apprécie cette compréhension et cette clémence.
Alors qu'il allait remonter sur sa bécane, je le retiens par le bras, ne souhaitant pas qu'il parte. Mon ange et mon démon ont débattu toute la soirée, et je crois qu'ils ont enfin délibéré et pris une décision.

"Est-ce que vous voulez monter? Pour boire un café. J'ai un dossier à vous donner.

Excuse bidon, Sunny. Tu souhaite juste qu'il monte et rester encore un peu avec lui. Il me sourit. C'est bon signe, non?

-Je ne vais pas dire non à un café noir, sans sucre. Ça m'aidera à évacuer l'alcool.
-Vous n'avez pris qu'une seule bière. J'ai bu plus que vous.
-Mais avec modération.
-Toujours. Allez, suivez-moi, je vais vous le préparer ce café."

Il s'assure que sa moto est en sécurité, il retire son casque qu'il garde en main, et me suit alors que j'entre dans mon immeuble. À partir de maintenant, je ne peux que improviser. Je n'avais pas prévu de le faire monter.
J'appelle l'ascenseur, sentant mon rythme cardiaque accélérer. J'ai passé si peu -voir absolument pas- de soirée comme celle-ci. Je n'ai pas envie de briser l'harmonie qui règne entre nous.
Nous grimpons en silence dans cette cage et j'appuie sur le numéro dix. Nicoleau m'observe attentivement. Il scrute chacun de mes gestes. J'ai l'impression de fondre sous son regard.
Les portes se ferment, mon regard se pose sur lui. Qu'est-ce qu'il est séduisant! C'est un supplice de rester sage à ses côtés alors qu'il a cet air à la fois farouche, nonchalant et innocent peint sur le visage.
J'analyse. Et je n'ai plus beaucoup de temps avant que l'ascenseur n'arrive à mon étage. Je me mords brutalement la lèvre, jusqu'à sentir un goût métallique sur ma langue. Nicoleau me regarde.

"Et puis merde!"

Je franchies la maigre distance qui nous sépare pour plaquer mon corps au sien. Quelques micro-secondes, nos regards se croisent. Le mien emplie de désir. Il m'est impossible de rester seule avec lui dans un endroit aussi exiguë.
Je me mets sur la pointe des pieds, tirant sur sa nuque, et nos lèvres se rencontrent enfin. Il répond avec passion à mon baiser, me tenant fermement par la taille. Je tremble d'excitation.
Nos lèvres se trouvent, se cherchent, se re-découvrent dans un réel baiser. Sa peau a encore le goût sucrée de la bière. Je lui mords avec sauvagerie sa lèvre, y passant ensuite ma langue.
Il soupire, et sa respiration s'accélère. Je me colle plus à lui, l'emprissonnant contre la paroie en métal. Je risque de lui faire l'amour ici et maintenant si je ne parviens pas à me contrôler entièrement. Mais c'est si bon...
Le "ding" de l'ascenseur m'oblige à délaisser ce corps sensuel. Je me racle la gorge et quitte la cabine, laissant quelques secondes à Nicoleau pour se remettre de cette étreinte mouvementée.
Je déverrouille la porte de mon appartement, lui faisant signe d'entrer en premier. Le rouge aux joues, il obéit d'un air timide. Je ferme à double tour avant de le rejoindre dans le salon.
Bien que j'ai envie de l'emmener directement dans ma salle de jeu préférée, alias ma chambre à coucher, je crois qu'un café s'impose réellement, ainsi qu'une vraie conversation.
Il me fixe, d'un air perdu et pourtant si nonchalant. Il suit le courant de la vie. Il ne la régit pas. C'est un contraste qui m'a immédiatement frappé entre nous. Là où je contrôle tout, il ne fait que butiner avec soif de découverte.
Je ne dis rien et rejoins la cuisine ouverte. Je l'entends s'approcher alors que je sors deux dosettes que je mets dans la machine à café. Les deux tasses sont prêtes deux minutes plus tard.
Je me retourne et en tend une à Nicoleau qui s'est installé sur une des chaises du comptoir. Il sourit puis boit à peine une gorgée du breuvage chaud. Moi, personnellement, je n'y touche même pas.

"Et maintenant? me demande-t-il soudain.

J'avale ma salive. C'est le moment.

-J'accepte ta proposition. Mais avant tout, je dois t'expliquer ce que cela implique. Parce que devenir mon amant, c'est... quelque chose d'audacieux. J'ai eu peu de partenaire qui ont eu le courage.
-Tu parle de ça comme si tu étais une tortionnaire.
-Dans un sens, c'est le cas."

Ses sourcils opaques se froncent dans une moue tout à fait craquante. Mais il va falloir que j'attende encore un peu avant de pouvoir jouer avec les expressions de ce visage radieux.

L'inconnu de la chambre 214Où les histoires vivent. Découvrez maintenant