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Durant quelques secondes, je me perds malgré moi dans le regard de Nicoleau. Ça ne devait durer qu'une seule nuit, et il devient mon comptable. J'aurais du demander des informations et détails supplémentaires à Felicity.

"Allons dans mon bureau."

Il hoche la tête et je quitte la pièce. Il me suit. J'espère que Felicity lui a fait faire le tour du propriétaire, sinon je vais devoir m'en charger... Je salue quelques connaissances, puis entre dans l'ascenseur. Nicoleau me rejoint.
J'appuie sur le numéro 10. Les portes se ferment. Je coule un regard vers mon nouveau collègue. Il n'a pas changé. Toujours aussi beau. Aussi sexy. Aussi attirant. C'est criminel de me faire autant d'effet!
Sauf que cette fois-ci, je ne succomberais pas. Non. J'ai déjà goûté à ce pain là, je ne dois pas être trop gourmande. Et puis, je ne veux pas d'engagement. Si ça se trouve, lui-même ne veut pas de moi.
L'ascenseur s'arrête à l'étage qui renferme mon bureau et l'open-space de mon équipe de projet. Nous traversons le lieu de travail ouvert, sous le regard de la jeune Amy, qui regarde avec une certaine animosité Nicoleau.
Ce dernier ne semble même pas la remarquer. J'avais presque oublié son côté nonchalant. J'ouvre la porte de mon bureau et l'invite à y entrer. Je ferme derrière nous. Je ressens immédiatement une certaine tension entre nous.
J'avale ma salive puis rejoins l'arrière de mon bureau. J'allume mon ordinateur, et, en attendant, je retire mon manteau et mon écharpe. Le mois d'octobre a rafraîchi l'air. Pourtant, Nicoleau ne porte que son costume.
Je m'installe derrière mon bureau. Nicoleau reste debout, devant la baie vitrée, fixant la vue fantastique qu'il y a de la ville. Une chose est sûre, il n'est pas d'ici. Peu importe de toute façon. Je me racle la gorge, captant son attention.

"Vous pouvez vous asseoir.
-Ça ira. Merci.
-Je vous sors les bilans de quelles années?
-Les trois dernières, si possible.

Je ne réponds rien et me mets au travail, sans le lâcher du coin de l'œil. J'ai encore la vision de ses mains attachées, de sa soumission. Je n'ai jamais eu de partenaire aussi docile et expressif.
Une sueur froide glisse le long de ma colonne vertébrale lorsque je le vois finalement s'avancer vers moi, puis s'installer sur une des assises à disposition. Je lance l'impression des bilans comptabilité. J'ose enfin lever les yeux vers lui.

-Merci, pour... la chambre. Vous savez...
-Oui. Je ne voulais pas partir sans un geste.
-Vous ne m'avez pas laissé le temps de vous remercier, et vous n'avez pas laissé de coordonnées.
-J'avais cru comprendre que... vous ne vouliez pas vraiment vous impliquer.

Touché. Je sens les traits de mon visage se fermer. À quoi je joue? Je suis au travail. Je ne dois pas aborder ce sujet avec lui. Non. Au travail, je dois être irréprochable.

-C'est de l'histoire ancienne.

Je vois ses traits se décomposer légèrement. Avait-il gardé espoir? Tant pis. Je dois être claire. Je ne veux pas de problèmes ou de soucis supplémentaires. L'impression se termine. Je récupère les papiers et les donne à Nicoleau, qui les récupère.

-Merci.
-Felicity vous a-t-elle fait visiter?
-Oui. Lors de mon premier entretien.
-Bien. Vous a-t-elle fourni un espace de travail?
-Un bureau au fond du couloir. Mais elle m'a informé ce matin qu'elle n'avait pas eu le temps de le préparer.
-Je m'en occuperais. Vous faites parti de mon équipe, c'est mon travail. En attendant, restez dans mon bureau pour la journée. Je ne suis jamais là, de toute façon.
-Il est vrai que votre bureau semble sans vie.
-Il est conforme à l'organisation."

Sur ces mots, je me lève, laissant à Nicoleau libre accès à mon ordinateur et à tout ce qui se trouve ici. Après tout, il a besoin de faire une expertise et un bilan global de trois années de budget. Je quitte donc la pièce pour rejoindre l'open-space, où je dois discuter avec John.
Lorsque j'arrive dans la salle commune, je tombe directement sur l'homme que je cherchais. John est un homme d'une trentaine d'années, blond et légèrement trapu. Je l'interpelle tout en me postant derrière lui, droite comme un i.

"John, as-tu reçu les photos du shooting de la semaine dernière?
-Oui, mon capitaine, ce matin même. Je te fais un book d'ici ce soir?
-S'il te plaît. Tu le déposera sur mon bureau quand tu partiras. J'ai des rendez-vous en extérieur cet après-midi avec la patronne, mais je repasserais.
-Pas de soucis.
-Tu es génial."

Je lui souris puis tourne les talons. Sans le vouloir, je percute un corps étranger. Enfin, pas si étranger que cela. Puisqu'il s'agit d'Amy. Ses dossiers sont éparpillés sur la moquette crème.
Je m'agenouille pour l'aider à tout ramasser, lui offrant un bref sourire. Je fronce les sourcils en voyant les dossiers. Qu'est-ce qu'elle fait avec les croquis des futures collections?

"Rien de cassé, Amy?
-Non. Je vais bien, merci. Merci pour le coup de main.

Je me redresse, elle également. Je la dévisage, fermant mes traits.

-Qu'est-ce que tu fais avec les croquis? Il n'y a que Felicity, Mark et moi qui pouvons les voir avant les décisions.
-Euh... Mark m'a demandé de les lui ramener.
-Ce n'est pas lui qui les avait?
-Non. Je... je dois y aller. Encore désolée et merci."

Sur ce, elle prend presque ses jambes à son cou et disparaît. Étrange. Mais c'est Amy. Nous avons l'habitude de son comportement changeant depuis six mois.
Je laisse John à son travail et longe le long couloir de l'étage. Cette partie de l'entreprise est vide d'employés depuis toujours. Felicity n'y a jamais installé personne. En fait, elle m'a toujours laissé cet endroit pour moi seule.
Il n'y a qu'une petite pièce et un bureau. Le bureau sert de stockage à mes affaires. Et la petite pièce à ma créativité. Le soir, quand il n'y a plus personne, ou les week-ends, je m'enferme dans cette pièce des heures durant.
Ainsi, je suis au calme pour dessiner des tenues. Et il m'arrive de les mettre en forme, parfois. Mark m'a appris à coudre et à créer des prototypes. Pour ce qui est de mes croquis, j'ai appris seule.
Ils sont les seuls à être au courant pour ce péché mignon. Mais je ne préfère pas offrir au grand jour mes créations. Je suis bonne en tant que meneuse de projet. Mais c'est tout.
Je soupire en pénétrant dans le bureau. Il faut impérativement que je vide tout ça sans que personne ne le sache. Il y a des tonnes de croquis partout. Hors de question qu'on sache ce que je fais.
Dépitée, je jette un coup d'œil circulaire à la pièce. Elle sent le renfermée, le ménage n'a pas été fait depuis des lustres, puisque c'est moi qui m'en charge, et ma déco est plutôt dépassée.
Décidément, je ne peux pas laisser entre Nicoleau ici. Je ne peux pas non plus le faire travailler dans une pièce pareille. Il lui faut un environnement propice au travail. Si Felicity lui a confié ce bureau, c'est qu'il a besoin de calme pour travailler.
Je m'avance jusqu'à la fenêtre. Nicoleau... Le revoir me fait bizarre. Je ne m'attendais pas à ça. Je ne pensais jamais recroiser sa route. Mais il faut croire que je me suis trompée. Il n'a pas semblé chamboulé par nos retrouvailles.
Ni trop à l'aise, cela dit. Il était tendu mais essayé de se relâcher. Je n'ai pas du faire bonne impression dès son premier jour. La surprise m'a rendu trop ouverte, mais je me suis rapidement repris pour me refermer.
Il risque de me prendre pour une folle. Il n'aurait pas tort. Mais comment aurais-je pu réagir? Il m'attire toujours autant mais je ne peux pas prendre ce risque. De plus, il est mon collègue, maintenant. Il faut que je parle à Felicity.
En attendant, je dois m'occuper de ce bureau, et vite. Pour le moment, je décide d'ouvrir les fenêtres pour que cette odeur de vieux que j'apprécie s'évapore. Elle me fait penser aux vieilles bibliothèques remplies de vieux livres.
Je m'occuperais du reste ce soir. Je m'assure de bien fermer la porte derrière moi puis je rejoins l'open-space. Tout le monde est au travail, ce qui me satisfait plutôt bien. Je jette un coup d'œil à ma montre.
Déjà onze heures! Je retourne dans mon bureau afin de travailler un peu. Ensuite, je rejoindrais Felicity pour le déjeuner, et les rendez-vous. J'en profiterais pour lui parler. Je suis surprise de ne pas voir Nicoleau lorsque j'entre dans mon antre.
Où est-il? Il est peut-être parti se chercher un café. C'est étrange puisque je ne trouve pas les dossiers que je lui ai fourni sur mon bureau. J'hausse les épaules.
Peut-être qu'il est parti voir ses autres confrères au service de la comptabilité générale. En attendant, moi, j'ai du boulot si je veux sortir pour le déjeuner! On verra bien si le brun refera surface d'ici là.

L'inconnu de la chambre 214Où les histoires vivent. Découvrez maintenant