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Une œillade en direction de Nicoleau et je suis obligée de me retenir de rire. Le discours de la mère de John est légèrement trop... cucul. Son fils, son pauvre fils, quitte le nid et prend son envol. Elle dramatise un peu trop à mon goût. Mais bon, ça semble émouvoir la salle.
Sauf Nicoleau. Il ne retient pas ses éclats de rire. Soit il n'a aucune tenue, donc aucune éducation, soit il est ivre et n'est plus en état de se retenir. Il n'a presque rien bu, uniquement une coupe de champagne avec moi, et il semble avoir une bonne éducation. Alors une troisième solution s'offre à moi. Il est devenu fou.
Le discours se finit sur quelques pleures de la mère. Nous applaudissons tout de même, et même si Nicoleau se moque, je vois dans son regard qu'il a beaucoup d'affection pour cette femme. Selon ses dires, il la connaît plutôt bien, qui plus est.
Quelques murmures se font entendre, l'instant émotion est passé. Mais il reste un dernier discours  celui que je redoute le plus. Celui de mon frère Adam. Ma mère et mon père se sont adressés uniquement aux mariés. Mais Adam... il est tellement Imprévisible.
En parlant du loup... Je le vois du coin de l'œil se lever en titubant un peu. Sa femme l'aide à retrouver sa stabilité. Il est ivre... Si seulement je pouvais me cacher dans un trou de souris... Mais ce n'est pas possible.
Je le regarde avec appréhension se diriger vers la petite scène, grand sourire aux lèvres. Son sourire s'agrandit d'ailleurs lorsqu'il pose les yeux sur moi. Bon Dieu, non... Bien que j'ai cessé d'être croyante, je prie Dieu pour que tout se passe bien.
Je décide de détourner les yeux et de mieux me positionner, droite sur ma chaise. Ça ne sert à rien. Je croise par la même occasion de le regard interrogateur de Nicoleau. Je lui souris faiblement en baissant les yeux sur le pied de mon verre.
Quelques raclements de gorge me font perdre la respiration. Même si tu es mon frère, je te déteste Adam. Jamais je ne te comprendrais. Les murmures autour de moi finissent par disparaître et le silence devient oppressant. Qu'on en finisse...

"Bonjour, enfin, bonsoir! commence mon frère, la bouche pâteuse. Il paraît que je dois faire un discours pour nos jeunes mariés. Alors je vais commencer par John. Je ne te connais pas depuis longtemps, mais je crois que ma sœur est heureuse avec toi. Au moins une de mes sœurs qui a su trouver le bon, et trouver le droit chemin à ses côtés.

Je ferme les yeux. Je m'en doutais. Je le savais au  fond de moi. Alors pourquoi ça me blesse toujours autant? Pourquoi? Malheureusement, le discours n'est pas fini...

-Melody, ma chère Melody... Je t'ai vu grandir. C'est Sunny, ma sœur pécheresse, que je n'ai pas vu grandir. Une vraie dévergondée, si vous saviez! Mais toi, Melody, tu es une femme, une vraie femme. Tu es heureuse, et ça me rend heureux. Ton mariage est incroyable. Petit problème: tu as invité Sun'! Et elle est venue! C'est assez étrange comme tu as su te trouver et trouver ta place plus facilement qu'elle. Elle doit encore se perdre dans...

Je n'écoute plus. Je me lève en trombe, luttant contre mes émotions et mes larmes. J'attrape mon sac à main et sans un seul regard pour personne, je cours vers la sortie, le plus que ma robe me le permet.

-Sunny! Pourquoi quittes-tu la fête? Elle ne te plaît pas? Ou ce sont les vérités que je dévoile qui te font peur? J'espère que tu as honte de ton comportement!"

Je claque la porte derrière moi. Et enfin, le calme. J'avance dans le hall, jusqu'à la sortie. L'air frais me fouette le visage. Je resserre les bras, prise de frissons. Je le savais... Jamais je n'aurais du venir. Plus jamais je ne remettrais les pieds ici.
Alors que je suis déjà quelques mètres devant la porte de la sortie, j'entends cette dernière s'ouvrir et se refermer. Non! C'est hors de question. Mes mouvements se font plus brusques, plus rapides.
Il n'est pas question que je pleure face à eux. Et il n'est pas question que je m'énerve non plus. Non! Je vais quitter les lieux et ne plus jamais leur donner de mes nouvelles! Jamais!
Cette famille m'a trop longtemps détruite. Je pensais être prête. Je pensais qu'ils étaient prêts. Je pensais qu'enfin ils auraient compris et accepté. Mais cela ne semble pas être le cas. Alors je partirais dignement. Sans leur donner mon pardon.
Une main ferme et chaude attrape mon poignet. Un homme. Sûrement mon père ou mon frère. Prise d'une colère sourde, je dégage mon bras et me retourne, levant ma main, prête à gifler un des êtres sensé le plus compter dans ma vie, mais étant ceux qui me font le plus de mal.
Mon geste reste en attente, car je suis incapable de l'exécuter. Ce n'est ni mon frère, ni mon père. Mais Nicoleau. Nous nous observons quelques fractions de secondes. Je finis par baisser ma main qui s'est mise à trembler.
Je ne dois pas craquer, pas aussi près du but. Pas maintenant. Ils seraient trop heureux de me voir si bas. Mais ça me fait tellement de mal. Ça m'a dévoré de l'intérieur depuis onze ans. Je dois en finir, sinon, jamais je ne pourrais aller de l'avant.

"Sunny, je...
-Par pitié, ne dites pas que vous êtes désolé. Vous avez vous-même entendu ce que mon frère a dit, alors je dois avoir sûrement baissé dans votre estime.
-Je comprends tout maintenant. Et...
-Tu n'es pas partie?

Je soupire bruyamment pour me donner du courage. Je me retourne pour dévisager Adam. Qu'on me retienne sinon je vais lui sauter à la gorge et le tuer à mains nues.

-J'étais sur le chemin.
-Qu'est-ce qui te retient?
-Moi, intervient Nicoleau.
-Vous feriez mieux de vous éloigner d'elle.
-Vos histoires de famille ne me regardent pas. Mais apprennez une chose, j'ai toujours décidé par moi-même. Et votre sœur est une personne bien, que j'ai envie de côtoyer.
-Vraiment? Il y a des choses que vous ne savez pas alors...
-Ferme la Adam! J'ai écouté ton discours à la con alors je vais t'en faire un que tu vas bien écouter. Entre toi et moi, la personne qui n'est pas fréquentable, c'est toi. Pendant des années vous m'avez fait du mal, mais c'est finit. Alors je vais partir et plus jamais je ne vais revenir, tu m'entends. Tu pourras faire tous tes discours de merde sur mon comportement, je m'en fiche. Car tu vois, c'est ton comportement qui montre bien une chose. Tu me jalouse. Et ça, je l'ai toujours su. Reste avec ta femme, reste avec papa, et ne revenez plus jamais vers moi.

Je suis surprise moi-même de ne pas m'être réellement énervée. Peut-être que j'ai définitivement tracé un trait sur ça. Sur ces années de malheurs. J'entrevois soudain quatre silhouettes sortir de la salle des fêtes. Génial... il ne manquait plus que le reste de la famille.
Ma mère se précipite sur Adam pour lui asséner une gifle bruyante. Je reste abasourdie par ce geste violent et significatif. Jamais ma mère n'a levé la main sur nous. Elle est la douceur et la gentillesse incarnée.

-Je ne vous ai pas mis au monde ni élevé pour qu'un d'entre vous détruise cette famille! J'en ai par-dessus la tête de vos histoires! Sunny a fait ses choix et c'est une femme heureuse, vous devez l'accepter! Et c'est pareil pour toi Harry! C'est ta fille merde! Alors même si on divorce, on...
-Quoi? Vous divorcez?

Je manque d'air. Soit je viens de rêver, soit... mes parents divorcent. Ils... non... Mais pourquoi? Et pourquoi personne ne semble sous le choc? Suis-je la seule à ne pas être au courant?

-On en parlera plus tard ma chérie.
-Il n'y aura pas de plus tard maman. Je ne vais pas revenir.
-Alors je viendrais à New-York. Ton père et ton frère ne m'empêcheront pas d'aimer un de mes enfants!

J'hoche simplement la tête. Je suis trop épuisée pour rester ici. Je me tourne donc vers ma sœur, en lui souriant à peine.

-Je suis désolée d'avoir gâchée ton mariage. Tu m'enverras quand même les photos. Je rentre à l'hôtel.
-Tu ne veux pas dormir à la maison?
-Non. Retournez au mariage. John doit s'inquiéter.
-Je t'aime Sun', tu seras toujours la bienvenue à la maison."

Je souris à ma sœur, puis elle part, emmenant Jackson avec elle. Ma mère cherche à s'approcher de moi, mais je le lui interdis d'un signe de la main. Mon frère et mon père échangent un regatd avant de partir, sans un regard pour moi.
Ma mère continue de me fixer. Je lui fais donc signe de partir. À contrecœur, elle me fait un signe d'adieux et tourne les talons. Elle disparaît dans le hall d'entrée. Mais il reste Nicoleau. Je me tourne vers lui. Il ne m'a pas lâché du regard.

"Vous pouvez y retourner aussi. Je me demande ce que vous faites encore là. D'ailleurs, désolée pour...
-Par pitié, ne dites pas que vous êtes désolée.
-Je ne le dirais pas, alors.

Je lui souris plus aimablement. Je pourrais presque rire. Il a reprit ma phrase.

-De toute façon, je m'en vais. Je suis épuisé, j'ai de la route à faire demain, et j'ai pleins de choses à faire.
-Alors il est plus sage de rentrer, en effet.
-Je vous dépose?
-Non, ça ira, je vais marcher un peu. J'ai besoin d'être seule.
-Je comprends. J'espère que ça ira mieux pour vous. "

Il me tend sa main qu'il vient de sortir de sa poche. Je le remercie du bout des lèvres et lui serre rapidement la main. Il me sourit sincèrement, et il me laisse. Je le regarde quelques instants marcher jusqu'à sa berline.
Puis, je finis par moi aussi prendre la route, à pieds, suivant le gré de mes pensées. La solitude me sera profitable. J'appellerais Felicity ensuite pour un peu plus de réconfort.

L'inconnu de la chambre 214Où les histoires vivent. Découvrez maintenant