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Trois jours se sont écoulés depuis l'arrivée de Nicoleau dans l'entreprise, et depuis son retour dans ma vie. Je ne l'ai pas revu depuis qu'il m'a déposé chez moi. Selon Nathan, il passe son temps dans son bureau.
Cela ne me dérange pas. Étant d'humeur massacrante, je passe tout mon temps dans le mien, et une fois qu'il n'y a plus personne, je vais dans ma pièce créative, où je ne lésine pas sur le travail non plus.
Je jette un coup d'œil à ma montre, tandis que l'on toque à mon bureau. Que ne comprennent-ils pas dans les mots "ne pas déranger"? Je soupire et accorde l'accès à celui qui ose venir me déranger.
Une touffe châtain entre dans mon champs de vision. Je dévisage la jeune fille aux cheveux longs et aux yeux marrons, vêtue d'une jupe très courte et d'un chemisier moulant. Toujours aussi sexy, à ce que je vois.

"Oui, Amy?
-Vous êtes attendue en salle de réunion au quatorzième.

Je fronce les sourcils.

-J'ai annulé tous mes rendez-vous d'aujourd'hui hier.
-Réunion d'urgence avec la patronne.

Je soupire en me levant.

-Merci. Tu peux disposer."

Elle hoche la tête et quitte la pièce, les joues cramoisies. Je rassemble quelques dossiers, ne sachant quoi prendre puisque mon assistante ne m'a pas donné plus d'informations.
J'aurais peut-être dû lui demander au lieu de la chasser parce que son comportement de charmeuse m'énerve. Amy est censée être mon assistante personnelle. Ce depuis six mois. Mais j'ai parfois l'impression qu'elle se laisse aller à son numéro de charme et en oublie le travail.
J'attrape aussi mon sac à main et quitte mon bureau, que je n'oublie pas de verrouiller. Je passe par l'open-space et rejoins l'ascenseur. J'arrive en quelques secondes au quatorzième étage. Felicity est devant la salle de réunion.
J'avance jusqu'à elle et l'embrasse brièvement sur la joue. Elle me dévisage de haut en bas, les sourcils froncés, mais ne dit rien. Quoi? J'ai ma jupe rentrée dans mon collant? Ou un morceau de papier toilette collé à mon escarpin?
Elle hausse les épaules et me fait entrer dans la salle de réunion, sans un mot. Je déteste quand elle ne me parle pas. Premièrement parce que c'est mon amie. Deuxièmement parce que je ne peux pas deviner avec ma boule de cristal ce qui ne va pas!
J'observe chaque personne présente dans cette salle. Les collègues de la comptabilité, des membres du conseil d'administration, et Nicoleau. Qu'est-ce que c'est que ce bordel?
Je fronce les sourcils tandis que ma meilleure amie m'invite à m'asseoir à côté de Nicoleau. Je m'exécute cependant. Ce n'est peut-être rien. Mais une telle réunion est très rare. Les membres du C.A. se déplacent rarement. Voir presque pas.

"Bon, nous pouvons commencer. Cette réunion de dernières minutes porte sur le budget du service conception et projet.
-L'expertise est déjà finie?

Je me tourne vers Nicoleau, plutôt impressionnée et surprise de son excellent travail. Enfin, excellent, je ne sais pas encore, mais efficace, ça c'est sûr.

-Nicoleau s'est montré compétant, en effet. J'ai eu l'agréable surprise ce matin de trouver sur mon bureau le dossier complet avec quelques conseils d'ailleurs.
-Des conseils?

Je ne comprends pas. Il était censé uniquement faire une expertise globale des pertes et des bénéfices que procure le service.

-Eh bien... oui. Le bilan n'est pas atroce mais pas fameux non plus. Nicoleau a fourni des conseils pour améliorer tout ça.
-Alors qu'il m'explique lui-même.

Je souris en voyant le brun rougir. J'ai bien le droit de le tester un peu, puisqu'il met en péril -apparemment- mon service et son mode de fonctionnement.
Felicity l'encourage du regard. Je suis certaine qu'elle pense que cela l'aidera à se faire une place dans l'entreprise. Mais j'ai uniquement proposé cela pour le ridiculiser un peu.
Il se racle la gorge. Je n'en rate pas une miette. Ses mains jointes et tremblantes sous la table me font rire de l'intérieur. Il surmontera cette épreuve sans difficulté, j'en suis certaine.

-Eh bien... c'est que... selon les chiffres, et uniquement les chiffres, votre section dépenses beaucoup, et n'apporte qu'un maigre bénéfice.
-Et ce sont les chiffres qui parlent?

Il tourne le visage vers moi, les sourcils froncés.

-Évidemment. Par exemple, l'an passé vous avez...
-Je sais combien j'ai rapporté, merci. Et, selon vous, et non les chiffres, quelles sont les solutions?

Il me dévisage quelques secondes, prenant bien le temps de choisir ses mots. Il ne sourit pas. Petit à petit, mes lèvres ne s'étirent plus. Je perds mon sourire. Il inspire, ses narines se dilatent.

-Il faut réduire les coûts. Le mieux à faire est d'optimiser le travail du service, changer de collaborateurs, notamment le photographe qui semble avoir des prix exorbitants. Il y a en d'autres qui coûtent trois fois moins chers et qui font de meilleurs travaux. Le soucis est la gestion du budget. Vous jetez l'argent par les fenêtres. Les dîners, les sorties, tout ça pour s'assurer une bonne image au près des futurs collaborateurs ne sont pas bénéfiques. Encore six mois comme ça et vous allez devoir vous séparer de deux de vos collègues. Ou même directement vous.

Je reste abasourdie. Comment ose-t-il me dire comment je dois gérer mon service? Quel culot! La bouche entrouverte, je peine à garder mon calme. Je vais lui sauter à la gorge. Je me lève, furibonde.
Felicity me jette un regard inquiet. Comme a-t-elle pu le laisser me dire tout ça? Pourquoi ne l'a-t-elle pas fait elle-même? Je suis hors de moi. Recevoir des conseils d'une personne qui n'y connaît rien! Ça fait cinq ans que je travaille ainsi, et on ne m'a jamais rien dit!

-Je suis cheffe de projet, j'ai probablement un des travails les plus importants ici! Je mène à bien chaque collection, je m'occupe de tout, des commandes de tissus au shooting photo! Sans mon service, il n'y aurait pas de produit à vendre! Il est hors de question que je renvoie qui que ce soit. Je ne vois pas pourquoi je devrais tout changer seulement parce que nous dépensons beaucoup.
-Sunny...
-Non, Felicity! J'ai toujours tout donné dans mon travail, plus que de raison, et ce n'est pas un novice dans le domaine qui va m'apprendre quoi que ce soit! Je veux bien essayer de réduire les dépenses. Mais je n'accepte pas qu'on me dise de résilier mes contrats pour gagner quelques milliers de dollars!
-C'est pour ça qu'on est ici. On va en discuter.

Je pose les yeux sur ma meilleure amie. Elle en impose. Et je me serais probablement réinstallée sur ma chaise gentiment si je n'étais pas, justement, son amie.

-Discuter de quoi? Il m'impose des changements considérables. Je veux bien serrer la ceinture, mais pas jeter à l'eau cinq années de travail.
-Installe toi, on va en parler.
-Non. Je vais rentrer chez moi, j'ai une atroce migraine. Enlève une journée de travail de mon salaire. Amy déposera les notes sur mon bureau.
-Je te les apporterai ce soir.
-Merci."

Je récupère mes affaires et salue brièvement l'assemblée. J'ai l'atroce impression que mon crâne va exploser. En quelques pas, je quitte la pièce pour rejoindre l'ascenseur. Alors que je mets un pied dedans, je me sens tirée en arrière.

L'inconnu de la chambre 214Où les histoires vivent. Découvrez maintenant