PROLOGUE

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On dit que le temps nous le dira. Du moins, c'est ce que l'on attend en général du temps. Les êtres doués de conscience s'amusent à compter les secondes qui leur restent. Ils jaugent, évaluent les dangers pouvant les en enlever, les comblent par de futiles nécessités dictées par la divine comédie en marche. Tandis que ceux qui n'en possèdent pas simplement, ne sont mus que par un instinct de survie égoïste et ne cherchent qu'à assouvir des besoins primaires voire secondaires, en dépit de ce que cela implique sur leur temps restant bien réel.

Les êtres inconscients sont les immobiles temporels. Ils sont bien trop prévisibles et se perdent à gémir dans leurs eaux et téter de la vase. Ils en sont les marchands, en sont de très mauvais négociants, mais en sont les monarques et en contrepartie, ils ne sont jamais ruinés, et ne jalousent en aucun cas leurs clients. D'aucuns ne connaissent pourtant la nature de ce commerce étrange et inégal car, aucun ne peut conceptualiser en des termes concrets ni sa forme, ni sa valeur et encore moins son existence qui n'est que théorique. Il réduit les falaises en poussière, rase des civilisations, fauche sans distinction, n'est pas directement observable et ne peut être toucher. Pourtant, c'est bien auprès de celui-ci que l'on attend quelque chose, à l'instar du fidèle dans l'impatience de la vérité, au jour du jugement dernier.

Ses paupières s'ouvrirent lentement, alors que le flux lumineux agressait les yeux qui ne s'attendaient pas à reprendre maintenant du service. La vitre vibrait sporadiquement sous son crâne et faisait naître des douleurs articulaires à sa nuque et de son épaule gauche. L'intérieur baignait dans une faible lueur bleue et, comme pour confirmer sa seconde constatation, un frisson glacial lui parcourut le corps.

Il tira la fermeture éclair de sa veste vers le haut et replaça sa capuche sur ses cheveux bruns. Les genoux endoloris, il se redressa sur son siège et commença à se masser, tandis qu'il reprenait conscience du pourquoi il se trouvait là en se heurtant contre lui-même.

Combien de fois faisait-il ce cauchemar ? Wayne n'en avait aucune idée. A plusieurs dans son esprit, il essaya de les recenser sans que les autres bien plus candides et bien moins paranoïaques ne s'en aperçoive, au milieu de cette réunion lassante qui ne connaissait pas d'heure de fin, ni de pauses intercalaires. Malheureusement, le président - Wayne aimait penser l'être - ne put obtenir de la mémoire ce que la raison ne lui céderait jamais, tant le nombre en était bien trop important pour une estimation honnête.

Seul dans son coin morne en bout de table, le président savait qu'il ne pouvait non plus se fier à ses soi-disant alliés, ignares stupidement coincés dans leurs propres directions, et étouffés sous le poids d'une logique si pure, qu'elle ne peut qu'être gage de sainte parole. De cette sainte parole, ne pas être en mesure ni de définir si le sujet soit tel qu'il se présente ou simplement fruit d'un délire onirique, ni séparer ce rêve du travail du réveil si le cas premier était à considérer.

La seule chose que Wayne se permettait d'être certain était cette sensation d'ivresse intense, un murmure si extrême dans une horreur inconnue qui paradoxalement, infusait en lui l'envie irrépressible d'y retourner, à l'instar d'un ascenseur émotionnel en chute libre qui ne peut être réarmer.

Un endroit calme, restreint et plongé dans une obscurité à l'hésitation des flammes. Des animaux dansants sur un gargantuesque livre ouvert, tandis que l'extase liquide suintait des murs.

Le froissement désagréable d'une page qui se tourne brisa ses songes éveillés. A côté de lui, elle était toujours scotchée sur son magazine, et ce depuis leur départ de la gare centrale d'Andrea dans cet air las où Wayne devinait son absence. Non. Billy ne lisait pas. Elle somnambulait, les mains fermes sur le papier et les cheveux roux en cascade devant ses yeux mi-clos.

Les InnommablesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant