ACTE II - 2

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Avant Benedia, Wayne ne savait pas ce que le mot déluge signifiait réellement, du moins il en avait une vague idée, tirée de ces mythologies enseignées dans certains cultes pour mettre en garde les cœurs mauvais.

Des cœurs mauvais, Wayne ne savait pas les reconnaître, non pas qu'il était sous l'affliction d'une naïveté et d'une candeur à tous les niveaux de sa personne, mais le fait était qu'il considérait les cœurs mauvais comme une sorte de banalité intrinsèque à l'espèce et que fatalement, il ne pouvait exister son contraire, et encore non pas qu'il voyait le monde sous un prisme pessimiste et nihiliste, car paradoxalement Wayne savait reconnaître les angles gracieux et les courbes élégantes de ces cœurs mauvais, non sans mal, mais il pouvait se féliciter d'en faire l'effort même s'il n'était pas du genre à se jeter des fleurs, et plus encore pour une telle banalité.

Alors, installé confortablement sur ce siège à côté d'une Vicky qui allait à vive allure dans les rues chromées et illuminées du district, comme si elle voulait le laisser et ne plus devoir y retourner, Wayne observait en silence les dernières résidences du 39 se défiler dans l'obscure brume de pollution qui habillait les façades de verres amochées et réfléchissantes.

La voiture passait au travers de la pluie et de la crasse, en-dessous de ces multitudes de ponts qui faisaient le lien entre les deux rives, au-dessus du vide sombre que Wayne s'efforçait d'ignorer, pour le moment.

Au-delà de ce lieu qui retenait son attention, il y avait bien certains détails récents qui l'empêchait d'apprécier ce paysage bluffant, à commencer par sa collègue qui, sans avoir eu besoin de le dire, n'était pas aussi sûre d'elle que lui pouvait l'être en ce qui concernait l'enquête.

Car pour Wayne, il était évident que la mort de Sylvas était liée à l'affaire initiale, à savoir celle du vol, et qu'il fallait recommencer pour constituer le puzzle. Vicky semblait se plier à la proposition, mais il y avait quelque chose, un détail, un grain de sable comme Wayne aimait appeler. Un grain de sable qu'il se jura de déloger directement après la visite chez les Thorson, d'où il espérait y trouver un indice sur le pourquoi, et avec un peu d'optimisme, sur le qui.

Du où, il était évident que cela s'était déroulé au 39, jusqu'à preuve du contraire. La paroisse des illusions se situe Grand Écrou, quartier du 40 et représentait également l'environnement où l'officier Sylvas entretenait un ménage exemplaire, s'il fallait reprendre les mots de la direction des ressources humaines.

Il était donc marié et père, avait des amis dans toute la ville, était apprécié pour sa personnalité et respecté par son statut. Sylvas n'avait pas d'ennemi, n'avait aucun compte à rendre à qui que ce soit et exerçait la profession avec la passion de la vocation. Avait-il manqué de prudence ? Vis à vis de quoi ? Était-il détenteur d'une certaine information qu'on avait voulu faire taire à tout jamais ? Non, Wayne ne le savait pas, mais il avait la certitude que Sylvas n'était pas le genre d'homme à abandonner sa famille au profit d'une autorité quelconque.

A moins que mourir était sa seule option pour protéger sa femme et ses enfants ? La plupart des gens craignent la mort, disait Vicky, mais apparemment, ce n'était peut-être pas le cas de Sylvas, et également du concierge qui avait bien compris que Wayne n'était pas dupe sur la question, et la réponse n'avait rien à voir avec la mort.

Non, ce garçon à la trottinette et ce concierge savaient très bien de quoi ils parlaient, et ils parlaient bien de ce personnage immonde, responsable de la livraison de ce travail réalisé d'une horrible précision redoutable et dont le médecin Gaël ne pouvait s'empêcher de ressentir une admiration si malsaine et si malaisante, qu'il avait préféré appeler Ori pour lui venir en aide.

Du diagnostic de la médecin en cheffe, il y figurait certains détails troublants. Le premier étant qu'aucun muscle n'a été endommagés, que le membre a été entièrement démantelé de sa base de sorte à conserver toute la clavicule, les ligaments acromio-coracoïdiens, l'articulation acromio-claviculaire, et bien évidemment l'acromion, la bourse sous-acromiale et le tendon du biceps, ainsi que le muscle sous-scapulaire. Le deuxième, tout aussi chirurgicale, était qu'aucun nerf de cette partie de l'anatomie n'a été ignorés, de l'axillaire à celui du long thoracique, ils ont été tout bonnement prélevés dans une précision et d'une propreté remarquable, s'il fallait reprendre les mots du docteur Orane Johars qui n'était en rien une vulgarisatrice.

Les InnommablesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant