ACTE I - 2

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Benedia. La ville aux milles tours. La ville aux milles trésors. Une ville tentaculaire dans laquelle Ian arrivait encore aujourd'hui à découvrir. Pourtant, c'était bien ici qu'il avait vu le jour, c'était ici que son enfance et son adolescence s'étaient déroulés dans des circonstances qu'il préférait ne pas s'en souvenir, mais encore maintenant Benedia n'avait pas fini de le surprendre.

Souvent, il regrettait ne pas pouvoir s'y perdre par manque de temps et s'y risquer de ne plus retrouver son chemin au travers de ses innombrables rues entrelacés les unes sur les autres, et qui s'amusaient à jongler sur différentes altitudes à l'instar d'un tas de nœuds gigantesque, si le mot suffisait à décrire une telle immensité.

De cette immensité, Ian avait appris avec le temps de s'en accommoder par un plan imaginaire, mais qui avait le don de rester fidèle à la réalité et d'éclaircir sa vision de ce monstre urbain.

Ce monstre, qui n'était qu'un assemblage monolithique de gratte-ciel incroyables, était capable de culminer à pas moins de deux kilomètres huit depuis le niveau de la mer, pour une superficie approchant les huit cent mètres carrés, et alors que l'on y habitait dans les cités en vicinité des activités économiques et administratives à partir du deuxième kilomètre, le premier se réservait les industries de toutes sortes, de la gestion électrique, de l'adduction en eaux, aux conceptions automobiles, en passant par les textiles, la sidérurgie et autres travaux sur les métaux, les productions manufacturières ou encore la pétrochimie, entre autres.

Ian se sentait si bête dans les moments où Orane lui contait ses pérégrinations de congés annuelle. Elle avait ce talent de décrire en des mots dont il ne pouvait saisir le sens, à quel point il était rafraîchissant de quitter l'oppression des tours, les nuages de pollution et les pluies diluviennes pour le bleu de Gilia, où l'air marin n'est que pureté et où les rats n'ont pas leurs places, s'il fallait croire en ses propos qui ne pouvaient résonner en cet homme beaucoup trop urbain.

Car Ian était du genre à ne jamais prendre de pauses, et puisqu'il n'avait rien d'autre que son travail dans sa vie il préférait s'y complaire, et si Orane lui proposait de l'accompagner, son refus était surtout motivé par la provenance même de la suggestion. Au fond, Ian en rêvait.

Il était 14h quand ils arrivèrent au restaurant. Ian prit son temps pour trouver une place où laisser sa voiture, et opta finalement pour la plateforme flottante non loin. Inutile de la laisser en stationnaire, l'essence coûtait bien trop cher pour ça et puis, il n'avait pas envie de surmener ses propulseurs et gâcher ainsi toute une après-midi de travail sur cet engin sénile qu'il refusait catégoriquement de laisser mourir.

Ian libéra sa clé du contact, quitta son siège en ouvrant la portière pour la claquer dans son dos. Il releva ses lunettes de soleil sur ses longs cheveux bruns. L'astre avait fini par pointer le bout de son nez paresseusement au travers des nuages d'orages, un exploit si rare qu'il méritait d'être retenu.

L'avenue Archand était en plein centre du district 4. Les officiers de police, positionnés pour réguler les bouchons n'avaient pas manqué l'occasion pour les saluer de loin sur leurs passages, et tandis que les légions d'écrans affichaient leurs marques, les trottoirs étaient bondés, dominés par les faces supérieures des tours métalliques et leurs antennes dressées contre le ciel.

Le Earth's restaurant était intégré dans la tour numéro 33 et grâce — ou à cause, de sa proximité avec le commissariat, ils avaient pris l'habitude de s'y rendre pour un déjeuner occasionnel ou un simple moment de détente.

Tandis qu'Orane et Suki se perdaient dans leurs discussions, Ian restait égaré dans le paysage au travers de la grande baie vitrée de son côté. Évidemment d'ici, le ciel était bien plus visible. Grisâtre mais lumineux, découpé par la pointe terminale des tours à l'instar d'une grande morsure qui le déchirait. Il se gratta la barbe inexistante, maintenant au fond de son monde personnel.

Les InnommablesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant