Les Innommables

ACTE I - 9

14h46. Le métro fonça devant lui, et le sol sembla vibrer sous son passage. Les personnes autour de lui l'ignoraient, tandis qu'il jouait au casse-brique sur son téléphone dans un ennui considérable, lui qui pensait faire comme à son habitude.

À son habitude, il préférait s'allouer à lui-même dans ses jours de repos. Quiconque aurait à y redire, mais il n'abandonnerait pour rien au monde ces grasses matinées exemptes de limites horaires, ces petits-déjeuners copieux à base de tarte, de fruits et de lactose le tout sur son canapé, les yeux rivés sur un dessin animé quelconque diffusé sur la chaîne spécialisée pour les enfants pour ne pas l'obliger à allumer son cerveau. Ni de ces moments calme sur la musique de Kyber — un plaisir coupable et dont il gardait en secret — ni de ces après-midis dans son garage pour retrouver la voiture qu'il aimait retaper au milieu de ses boîtes à outils, des pièces de rechange et détachées, toujours sur la même musique qu'il était le seul à apprécier jusqu'à la nuit tombée lorsque l'odeur des huiles ne lui fasse tourner la tête.

Ian soupira. Bien qu'il aurait préféré garder son temps pour cette maudite voiture, il appréciait tout de même que pour une fois, il faisait quelque chose de différent, et il était ravi que cela soit Mori qui avait proposé cette sortie.

Devant le commissariat, Ian commençait à s'impatienter. Le connaissant, le capitaine Vexen Odi était à coup sûr à l'heure actuelle en train de les inonder d'informations, dont ils ne se souviendront aucunement.

Sur le coup, il ne put s'empêcher d'avoir de la peine pour ce pauvre homme, trop érudit pour son entourage. Ian se posait souvent la question, ce qu'autant de savoir pouvait procurer. Il était plutôt d'accord avec l'assertion que l'ignorance était le pire de tous les maux, mais l'océan du savoir lui faisait peur à la fois.

Ce qu'il y avait de plus effroyable à ses yeux, était l'incapacité de son esprit à contenir tout ce que le monde pouvait bien cacher. Face au capitaine, il sentait qu'il vivait sur une île d'ignorance, cerné par des obscures mers dans lesquels il ne voulait s'aventurer bien loin, tandis que les sciences, des caravelles s'étalant dans leurs propres directions, ne l'avaient encore perturbées jusqu'ici. Ian n'y songeait pas, et n'en faisait guère une obsession, craignant la thalassophobie elle-même, vérité si inquiétante qu'il ne pourrait qu'y sombrer par folie, ou s'en prémunir par les bouées d'un obscurantisme total. Ce n'était pas qu'il était dénué de curiosités, mais il était de ceux qui savent se suffire du minimum.

« Tu ne t'ennuies pas ici ? » la voix de Vicky l'extirpa de ses pensées.

Ian se tourna pour découvrir avec soulagement les visages de ses amies. « Alors ce film ? dit-il en s'empêchant de mourir de rire face à la mine déconfite que lui tirait Vicky.

— J'ai adorée ! fit Orane à côté d'elle.

— C'était génial. » répondit l'autre dans une mollesse palpable.

Orane s'esclaffa. Ian ne regretta pas d'avoir joué la carte de la discrétion la veille, mais il appréciait la manière qu'avait Vicky pour prendre soin d'Orane.

C'était bien la seule avec qui cette femme à l'allure antipathique témoignait un certain attachement. Comme quoi, même les cœurs les plus farouches pouvaient s'arrimer à d'autres. « On y va, ou pas ? s'impatienta Vicky.

[o]

Au bout d'une bonne heure, Wayne, Ed et Billy se présentèrent enfin. Ils échangèrent quelques mots sur les marches du département de police, pour que finalement Ian leur indiqua un restaurant de l'avenue, habitué de la visite des officiers du commissariat.

En chemin, en passant par la voie piétonne, Wayne en profita pour apprécier un peu mieux les détails de la ville. Les tours grises encadraient le carrefour, les nombreuses baies reflétaient la couleur du ciel, donnant alors un aspect argenté à ces monstres architecturaux. Il se risqua à chercher du regard ce fameux globe que Tatsu lui avait indiqué plus tôt, mais Wayne ne le trouva pas, malgré sa persévérance.