ACTE II - 13

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Il y a des moments singuliers, étranges et malaisants. Des moments où l'esprit ne peut faire la différence entre la réalité des faits, les biais de confirmation — ne serait-ce que les biais tout court — et la distorsion que ceux-ci provoquent.

Il est aisé de perdre la vue, tout comme il est aisé de jauger à posteriori, et puisque à priori il est aisé de se tromper, il est aisé de rejeter la charge sur le premier bouc émissaire évident. L'ennemi pour les plus malins, le monde pour les idiots, la victime pour l'intéressé, l'intéressé pour le curieux, et parfois de manière rationnelle, la victime pour la victime.

Choisir la cause et chercher les conséquences est une banalité non sans dommages irréversibles, et la question n'est pas tant la réponse qu'elle-même là-dedans.

Que doit-on faire ? Vers qui doit-on se tourner ? Quel chemin prendre ? Nous faut-il agir ?

Quelle est la bonne question ? Logique pour les inconscients, raisonnable pour les autres.

Odi restait là, dans la lumière blafarde derrière la glace où, au travers il observait attentivement la femme qui s'était installée dans la salle d'interrogatoire.

Il n'arrivait pas à croire. A croire qu'il avait été aveugle durant tout ce temps. Mais décidément, malgré ses années de carrière, il n'arrivait toujours pas à comprendre que trop souvent il est risqué d'ignorer avec partialité les véritables ennemis. Non pas qu'il pensait qu'il s'agissait nécessairement d'individus opposés à lui, puisque c'était justement de ça qu'il redoutait. Les apparences.

Elle semblait penaude — sûrement l'incompréhension de ce qui lui arrivait à l'heure actuelle — extirpée de sa zone de confort pour se retrouver en ces endroits froids, gris et quasi clinique.

Odi connaissait Sylvas. Du moins, pas personnellement. Il était davantage — même s'il ne voulait pas totalement l'admettre — et comme le disait la plupart, un officier extrêmement respectable, si respectable que cela en devenait presque barbant aux yeux du capitaine. Il ne présentait aucun défaut particulier, hormis peut-être son trouble obsessionnel sur l'hygiène et l'ordre, son caractère plutôt lunatique et réservé s'il fallait également l'admettre, ainsi que sa tendance étrange à claquer constamment des doigts lorsqu'il passait d'une action à une autre, comme s'il s'était égaré dans la première et qu'il s'agissait d'un effet sonore nécessaire à son cerveau.

Les apparences. Odi le suspectait. De quoi ? Il ne le savait pas. Il était conscient que l'officier entretenait personnellement une foi inébranlable au sein du culte, il était conscient que l'officier était à la merci de l'Eglise. Mais les signes précurseurs de la révolte intestine s'assemblaient si bien que le capitaine ne pouvait faire confiance à cet Upa, simple pion sur un échiquier trop petit pour la quantité de pièces disponible.

La mort de Sylvas. Quelle ironie. Il voulait se débarrasser de lui, et maintenant c'est sa position qui est mise en jeu. Un retour de bâton qui lui était insupportable.

Odi était bien conscient que ses lieutenants lui feraient des remontrances, mais il ne pouvait plus attendre que d'autres s'occupent de son propre sort, car même s'il n'était pas certain de ce qu'il faisait, il gardait totale confiance à son enquête personnelle.

Plus encore, il ne voulait pas se rater. Pas cette fois.

Odi pénétra la pièce. Elle le suivit du regard, dans l'attente, alors qu'il s'approchait les bras croisés pour finalement s'installer de l'autre côté de la table.

Il afficha un sourire courtois pour ouvrir le dialogue. « Bonjour, Madame.

— Je sais qui vous êtes, lui coupa-t-elle, sur la défensive. Ce que je veux savoir c'est pourquoi je suis ici. »

Les InnommablesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant