ACTE I - 1

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"Les regrets mènent à l'échec. La foi déplace des montagnes. Mon plus beau rêve est de vous voir heureux."

Un son de coulissement suivi d'un raclement de gorge pour finir sur l'écoulement d'un liquide poisseux le fit sortir de sa torpeur dans une migraine aveuglante, la gorge sèche, une envie de vomir et le corps frémissant. Une chaleur infernale régnait dans l'habitacle, et tandis qu'il sentait sa propre salive s'écouler le long de son bras qui n'était qu'un oreiller de fortune, la respiration nasale insupportable de la banquette arrière refusait catégoriquement de le laisser en paix.

Il se remit difficilement sur son séant en s'aidant de son volant, ouvrit grand la fenêtre avant de larguer son repas de la veille à son tour après soulèvement de tout son appareil digestif. Dans un rictus immonde, il chercha ses poches pour y trouver un mouchoir, vida la bouteille de soda qui se trouvait encore sur le plancher, cracha le dit soda par-dessus bord, et finalement s'empara de son téléphone qui, lui indiquant 13h, lui fit prendre conscience que ça aurait pu être pire.

Il ne put s'empêcher de sourire face à une telle aubaine. Il se tourna vers le siège passager où il vit Orane sous sa doudoune, profondément endormie, jeta un œil à l'arrière pour tomber sur le regard interrogateur de Vicky derrière ses verres, parfaitement éveillée, tandis qu'à côté de cette dernière Suki dormait encore à poing fermé, une jambe pendante en dehors dans une contorsion étrange et qui lui donnait des maux rien qu'en le voyant dans cette position peu naturelle.

Sans se poser plus de questions, il revint en face pour bien noter qu'ils étaient toujours dans le parking, au cas où s'ils devaient ramasser les conséquences potentielles de la veille.

Une voiture passa devant eux pour aller se garer un peu plus loin. La circulation se faisait entendre au-dessus de leur tête. Hormis ces petites agitations, autour d'eux le lieu était d'un calme absolu. Les emplacements restaient encore libres, tandis que les néons clignotants ci et là rendaient un aspect lugubre, froid et morne.

Il inspira. Il expira, et finit par s'essuyer les yeux vivement. « Il y avait du monde, fit-il intérieurement pour commencer à allumer son cerveau, cela faisait longtemps que je ne m'étais pas noyé dans une foule. Ça fait du bien, après une semaine de bureau honnêtement. Je n'aurais jamais pensé que la paperasse était aussi épuisante. Vivement que je reprenne le terrain, sinon je crois que je vais finir par mourir à la fin du mois. »

« Odi va me tuer, se dit Ian pour passer la seconde. Cinq heures de travail, c'est du suicide, encore faut-il que je me retape avant seize heures. »

Il s'agissait d'un jour important. Le commissariat allait recevoir de nouveaux membres, le capitaine ne pouvait donc manquer pareille occasion pour faire honneur à la police de Benedia. Dans son esprit, il imaginait aisément ce regard narquois faussement bienveillant planté dans ce visage mate, habillé d'un duvet capillaire couleur sel hésitant, le toiser sans que la conscience qui l'habitait ne s'en aperçoive.

Le capitaine Odi était un homme qui insistait grandement pour mettre les petits plats dans les grands, une sorte de trouble obsessionnel de l'ordre et du bien fait qui détonnait de cet environnement chaotique que représentait l'intérieur des murs du commissariat, de sa structure même à ceux qui y exercent, comme si le personnage en était totalement immunisé et indifférent.

Toutefois pour Ian, le district 4 ne pouvait avoir mieux. Il l'admirait pour son implication dans son métier, pour sa position responsable, ferme et indulgent en tant que chef d'une institution loin d'une administration bien huilée, même s'il avait fini par le trouver un peu malade avec le temps — dans le sens fou furieux.

À cette heure, il l'imaginait aisément en train de ranger ses dossiers dans son armoire massive, de consulter les dépôts de plaintes de la matinée en sirotant tranquillement son café.

Les InnommablesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant