ACTE II - 11

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Le hasard n'existe pas, il n'y a que des rencontres. Du moins, c'était ce que ce mur de blanc à bout de souffle tagué de rose bonbon avait essayé — auparavant près des résidences de Bateleur — le convaincre qu'effectivement, les paramètres qui régissent les grands bouleversements sont imprévisibles, évidents, terrifiants, et certainement non négociable — puisque le hasard n'existe pas — A l'instar de ce petit carré de chocolat laissé sur l'oreiller d'une suite médiocre d'un hôtel sans intérêt, mais qu'il suffirait de tendre la main, d'oser penser une seule seconde que derrière cet emballage de papier faussement parfait, attend une gourmandise si forte en caractère qu'elle suffirait à faire prendre conscience que la destination est plus confortable que les simagrées du voyage, à l'abri de toute machination cérébrale.

Il n'y a pas de hasard. Du moins, ce n'était qu'une phrase vide de sens aux yeux d'un Wayne qui connaissait que trop bien cette route rassurante qu'il décidait toujours d'emprunter. L'entrée du virage, sa longueur, son intensité.

Plus encore, pour Wayne, ce n'est pas qu'il n'existe pas, mais il en doutait sérieusement, car comme dirait un second mur, le hasard est l'affaire des visionnaires, quant au doute, il ne peut qu'être surprenant.

Il appuya sur l'interrupteur à sa droite pour éclaircir son espace personnel, et enfin s'installer au fond de son fauteuil face au clavier qui, seulement à la vue, le désespérait quant à la quantité d'efforts qu'il devra investir, à moins qu'il ne se mette en condition, et ce fut ce qu'il décida d'entamer avant de se retrouver seul à seul avec cet écran qu'il venait de mettre en marche, seul face à lui-même dans lequel il avait du mal à insuffler une sorte de motivation contre la procrastination.

Ce n'était pas qu'il n'appréciait guère la solitude, lui qui habituellement préférait se retirer pour éclaircir son esprit bien trop encombré d'interrogations si simples, qu'il n'arrivait pas à les formuler dans un langage universel ; premièrement pour ne pas en créer davantage, et deuxièmement parce qu'il doutait de la pertinence de celle-ci.

Comment pouvait-il être certain de la marche à suivre ? Devrait-il tout dénoncer au capitaine ? Devrait-il mentionner que l'enquêteur et la victime ont, tous deux un lien commun ? Est-il en droit de s'opposer contre cette rage, ce deuil que Vicky endurait depuis bien trop longtemps ?

Ça va déraper. Tout va déraper. Wayne le sentait, au fond de lui, car ce qu'il avait bien appris de cette femme, c'était qu'elle serait prête à tout pour s'accomplir, dans un sens ou dans un autre — négatif ou positif — Wayne en était horrifié de cette unique incertitude.

Mais — comme dirait celle qui avait un véritable sixième sens — il y a toujours un mais, et cette dernière avait sûrement raison quant à la nécessité d'un dialogue.

Le temps était solution à beaucoup de dilemmes. Le paradigme était également solution à beaucoup de dilemmes. Verser de l'eau au fond d'une tasse jusqu'au demi de son volume maximal peut bien être le centre d'un débat houleux entre le moitié vide et le moitié plein, certains affirmeraient que le but ici est d'imager l'opposition entre optimisme et pessimisme en omettant cette eau qui ne demande qu'à être consommée, pour se concentrer sur ce pauvre récipient qui pour le coup, n'a rien demander. Car finalement, ce n'est pas le niveau qui compte, mais bien la quantité précise et nécessaire à la situation présente. Souvent, il vaut mieux consommer avec modération, à moins de souhaiter la surdose ou ne pas vouloir s'hydrater malgré la canicule. Mais peu importe le choix, la tasse finira toujours à la vaisselle.

Le paradigme est une petite bestiole enchantée métamorphe et argileuse, présomptueuse, très gourmande et extrêmement bavarde. Elle explique pourquoi un et un font deux, pourquoi les lettres font des mots et les mots des phrases, pourquoi le réveil est mieux le matin, pourquoi prendre le verre à moitié plein, pourquoi avoir foi, pourquoi ne pas avoir foi, pourquoi courir, pourquoi marcher, pourquoi ne pas s'endormir à tout jamais. La petite se nourrit de tout ce qui lui plaît, grandit, s'engraisse jusqu'à devenir une sorte de blob spongieux très poreuse, mais horriblement imperméable. De ces monstres de poche, les êtres conscients en possèdent le monopole et ne les échangent qu'entre eux moyennant secondes, minutes voire heures en dépit des banquiers inconscients qui eux, en sont si riches qu'ils ne les voient pas s'écouler, sans même ressentir le besoin de s'enticher d'un paradigme, parasite parapluie de paraboles.

Les InnommablesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant