Déménagement 📦

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    Déménagement, donc. Du changement, c'est tout ce que tu attendais, finalement. Alors certes, quitter ta seule amie a été très compliqué. Comment font les adultes face à ça ? On t'a dit que tu pourrais lui envoyer des lettres que, comme ça, le contact ne sera pas rompu. Mais tout de même, tu te sens triste.

« Pas besoin de pleurer, vous vous reverrez. » a-t-elle affirmé d'un haussement d'épaules.

    Alors tu as relevé la tête, pas de quoi pleurer, tu es une grande fille après tout, alors ne soit pas ridicule, Esor.

    Le point positif lorsqu'on est enfant, c'est que ces changements deviennent bien plus excitants que réellement effrayants. Ce déménagement a été une nouvelle opportunité quant au fait de rencontrer tes futurs nouveaux amis, d'apprécier de nouveaux paysages, d'autres activités encore plus amusantes que les précédentes. Cette petite bourgade bordée de longues balades et de ces rivières, où les affaires des uns étaient aussi celles des autres, s'apparentait à un monde paisible comme tu en avais tant rêvé autrefois. Adieu la ville et ces tours de bétons à perte de vue, dis bonjour à ces tableaux bucoliques qui s'offraient à toi par milliers. Combien d'heures entières avons-nous passée, ma belle Esor, au bord de l'étang fleuri ou, mieux encore, à courir après les ruisseaux agités et leur petit navire naturel qui semblait vouloir rejoindre au plus vite la grande vie, rencontrer une étendue d'eau encore plus impressionnante que celle dont ils avaient l'habitude. Nos souvenirs se croisent, sont les mêmes. Tu m'évoques les tiens que je ponctue d'une remarque, d'un sourire.

    Ce jour-là, nous nous étions tous rejoins près de ce lac que tu adorais. Les premières fois n'étaient pas les plus évidentes, ces petites araignées d'eau qui avançaient par secousse te faisait sursauter. Tu as bien compris qu'elles étaient inoffensives, même magiques car dotées de cette capacité à flotter sur l'eau comme une légère plume arrivée là par hasard. Alors le grand plongeon ne s'est pas fait trop attendre. Comme tu riais. Comme je t'aimais. Ces éclats ont longtemps bercé mes moments de solitude, je te revoyais courir le long de cette rigole qui achevait sa course dans ce grand bain aux araignées enchantées. Tes pieds ne faisaient plus qu'un avec cette terre que plus d'un avait foulé avant toi. Le vent fouettait tes joues rougies. Tu semblais plus vivante que jamais.

    Avant le déménagement, te conduire en tant qu'étudiante modèle était une véritable épreuve. Ainsi tes moments frivoles étaient rapidement interrompus à la simple pensée de ce retour en terre hostile. Cette nouvelle vie en revanche avait un goût de profonde sérénité. Partout où nous allions les montagnes et leurs arbres majestueux nous suivaient. Aussi n'étais-tu pas seule, chaque matin tu retrouvais ta cousine qui prenait le même trajet que toi, pour atteindre ensemble ce même but. Tout le monde se connaissait ici, c'est ainsi que tu as appris à aimer ces petits villages où chacun était utile et apportait sa pierre à l'édifice. Désormais, te rendre en classe n'était que le prolongement de ces heures de rigolades en dehors de l'établissement. Éminemment fidèle à celle que tu étais, tu n'as pas échappé à ces petites vipères qui semblaient être présentes en toutes circonstances, à l'affût du moment propice pour mettre à exécution leur plan. Leurs morsures étaient moins douloureuses car moins fréquentes. Elles paraissaient moins acharnées. Selon l'humeur elles pouvaient vouloir passer le temps en classe près de toi ou, du tout au tout, te voir pleurer tandis que d'autres connaissaient plus de constance et t'épaulaient à tout instant. Une petite bande de copines et de copains qu'à nouveau tu as dû quitter au bout d'un an. 

    Tout semblait idyllique, chaque jour était ponctué de rires, de balades, de soirées avec tes oncles, cousines et cousins que tu ne reverras plus. Ce séjour d'une année dans le Sud de la France s'apparente finalement à une petite pause dans ta vie mouvementée, mon Esor. Une faille temporelle, un voyage dans le temps à une époque qui serait meilleure et plus agréable à vivre, où tes seules préoccupations seraient de t'amuser et rire à longueur de journée. Surtout ne pas oublier d'être cette petite fille heureuse et épanouie que tu mérites d'être. Tu as aimé cette année loin de tout ce que tu as connu jusqu'à présent, et bien que la crainte naissante ne s'est pas estompée dès le début de cette nouvelle aventure, tu as su profiter comme à n'importe quelle autre occasion s'étant présentée à toi. Alors ce retour à la réalité a laissé un grand vide dans ton petit cœur refroidi. Tout laisser derrière-soi, encore une fois.

« Dis maman, on pourra y retourner pendant les vacances pour revoir les tontons et les copains ?

― Doucement, doucement... On vient de repartir et tu penses déjà au jour où on y retournera... On verra bien, j'ai eu ma dose pour un temps. On a des choses plus importantes à gérer pour le moment. »

    Ils étaient ta seule famille. De tous, tes parents s'étaient détournés. Pas assez biens, propos déplacés, visions différentes sur la vie, sans personnalités, hypocrites... Ce ne sont pas les adjectifs péjoratifs qui manquaient pour les définir, loin de là, et nous ne mentionnerons pas les noms d'oiseaux qui fusaient à tout va. Je suis désolée mon Esor, je sais que ce manque de contact avec ton entourage t'a affecté, je n'ai pas réussi à les remplacer pour combler ce trou laissé béant, comme une pièce de puzzle manquante. Tu t'habitueras à tout cela, la première année étant la plus compliquée, la deuxième un peu moins, puis la troisième, la quatrième, la cinquième... C'est ainsi que tu ne les reverras pas pendant plus de dix ans. Nous étions résignées, ça devait être ainsi, alors soit, que ça le reste.

    Tout se répète. Boucle infernale que tu connais par cœur mais qui laisse place à cette appréhension qui marche à nos côtés. Déménagement. Nouvelle école. Nouvelles personnes à rencontrer, des relations à créer. Semblable à une petite tortue transportant sur son dos sa carapace, tu affrontais ce tout nouveau monde avec un bagage bien rempli. Comme j'ai été fière de toi, si tu savais. Tout fusait dans ta tête, à la fois ces magnifiques souvenirs des derniers moments passés près de ceux que tu aimes, d'un autre côté cette nouvelle école qui t'intimidait. Je vois ton sourire, ma tendre Esor. C'est à cet instant que tu feras sa rencontre, qu'il fera palpiter ton petit cœur d'enfant. Comme je l'aime. Tu as timidement pris connaissance de ta classe, t'es assise calmement à la place indiquée et tu as attendu. J'étais là, tout aussi confuse que toi. Le regard embarrassé tu as regardé autour de toi, en as croisé d'autres plus sûrs d'eux, rieurs et amicaux parfois. Tu as croisé le sien. Comme il est beau. Oh oui il l'était, en plus d'être amusant et charmeur il était terriblement à ton goût. Ne sois pas inquiète, mon ange, plus tard vous vous retrouverez. Le temps fait bien les choses quand il veut.

    Tes pensées comme le flot incessant de ce brouhaha d'écoliers ne connaissaient aucune limite. Tu étais celle qu'on avait surnommé« la petite fille dans les nuages. » Douce métaphore cotonneuse. Les alouettes avaient pour rôle de te rappeler à l'ordre. Comme elles étaient bruyantes ces alouettes. T'en souviens-tu, ma petite Esor ? Si bruyantes mais si...grandioses. Un jour, tu l'as surprise elle aussi, en train de les admirer. Doucement, pour ne pas les faire fuir, elle s'est tournée vers toi :

« Elles sont majestueuses, tu ne trouves pas ? T'a-t-elle murmuré de sa douce voix.

    D'où sortait cette jeune fille que nous n'avions pas remarqué jusqu'ici ?Oh ma tendre Esor, c'est une petite perle que tu as rencontré ce jour. Ta petite perle qui restera avec nous le temps de ces deux dernières années à l'école primaire.

    En rentrant de cette nouvelle échappée quotidienne au cours de laquelle était née une nouvelle amitié précieuse, tu t'es empressée de parler de ta petite perle à Maman.

« Maman !A l'école aujourd'hui je me suis fait une nouvelle amie ! Elle s'appelle Petite perle.

    Haussement de sourcils.

― Où est-ce que tu vas chercher tout ça... Va faire tes devoirs Esor, tu as ton cours de natation tout à l'heure. »

    Sans que tu ne puisses savoir pourquoi, elle s'obstinait jour après jour à rompre cette bonne humeur qui te demandait tant d'efforts à entretenir. Tu ne la comprenais pas. Son comportement te déroutait.

    Ces deux années de fin de primaire sont passées à une vitesse folle, ponctuées de nos moments de joie et de peine. Et même si nos angoisses commençaient à grandir en nous, même si quelquefois nous étions perdues ou dévastées, ta vie de jeune fille restera une période dont tu te souviendras toujours, le sourire aux lèvres. Tu étais innocente, le ciel ne t'était pas encore tombé sur la tête et tout ne t'accablait pas. Tu étais si jolie. Il est vrai que la nouveauté a tendance à rapidement t'effrayer. Elle te laisse perplexe, trop évasive pour toi elle en devient presque horrifique. Alors oui, ces derniers moments avant de te rendre dans la cour des grands ont été agréables voire désopilants, mais cet inconnu vorace et sans précédent était bien là, tapi dans l'ombre. Il surgissait dans les moments où tu t'y attendais le moins. Tu avais comme seule échappatoire cette habitude de renfermement sur toi-même. Tu voulais crier, mais tu as appris à te taire. Reste calme Esor. Ne les déçois pas

Esor e(s)t moi 🥀Où les histoires vivent. Découvrez maintenant