De nouveau te voilà enfermée entre tes quatre murs roses. Tu pleurais. Déjà tu sentais ton monde s'écrouler en étant victime d'une ignorance qui poignardait ton petit cœur. Tu pensais qu'on ne t'aimait plus. Que pour un court instant ils redevenaient heureux et respiraient. Tu étais loin d'eux, séparés par portes et cloisons et c'est ce qu'ils désiraient dans le fond, tu en étais convaincue. Sauter sur chaque occasion pour s'éloigner de toi et connaître cette paix qu'ils touchaient rarement du bout des doigts depuis que petite Esor était là.
C'était devenu routinier, une habitude bien installée. Tu allais chercher Baba cher journal qui dormait paisiblement dans le tiroir de ton bureau, sous ton oreiller ou caché sous tes peluches, caressais sa douce couverture que tu plaçais contre ta joue pour lui dire bonjour et alors, enfin, te permettais de l'ouvrir à une nouvelle page pour lui conter tes dernières mésaventures.
Vendredi 18 février 2011
Cher journal,
Je suis encore punie et je suis en colère et triste, mais vraiment très triste. J'ai pleuré quand j'ai monté les escaliers et j'ai essayé de me retenir le plus possible avant d'arriver dans la chambre pour pas qu'ils me voient, (je n'aime pas ça, maman dit toujours que ça ne sert à rien, qu'on va pas en faire autant pour si peu, mais à moi ça me fait très mal alors je pleure en cachette). Cette fois je n'ai dit aucun gros mots, je n'ai pas tapé ou crié, ce n'était presque pas ma faute, juste un peu mais elle elle n'a même pas été punie et ça m'énerve encore plus même si je n'aime pas qu'elle soit punie elle aussi. Mais si elle est pas punie je veux ne pas être punie moi non plus. C'est toujours comme ça alors je m'en fiche. Je voulais juste pas prêter pour une fois, c'est mes affaires et je veux en faire ce que je veux quand je le veux au bout d'un moment. Je déteste quand on me les rend cassées, ça aussi ça me rend encore plus triste. Je vais te laisser parce que quand j'écris ça me rappelle la punition et tout ça et je serais encore triste dans trois heures si ça continue. Mais Baba cher journal je ne suis pas fâchée contre toi alors ne t'inquiète pas d'accord ? Aller bisous et à plus tard, je te dirais quand je serais plus fâchée et triste etc. PS : désolée pour les gouttes sur la page, même tout ridé tu es beau et je t'aime quand même.
Les yeux gonflés et toujours larmoyants, tu patientais jusqu'à ce que la tempête se calme. Les heures passaient et tu pensais qu'on t'avait oublié. Toi, petite princesse désarmée perchée dans ta haute tour regardant les heures défilées sans que personne ne vienne te voir pour prendre de tes nouvelles. C'est après un long moment d'enfermement que tu prenais ton courage à deux mains, la faim et la soif te tiraillaient Main dans la main, nous nous dirigions vers la porte pour tendre l'oreille et se faufiler en douce jusqu'à la cuisine pour qu'on puisse se ravitailler. Faire vite, qu'on ne voit pas la tristesse qui s'est installée sur ton visage et ces rougeurs qui bordent les jolies fenêtres de ton âme. Personne à l'horizon. Faire vite. Prendre les provisions. Se dépêcher. Tu y es presque et... tombes nez à nez avec elle. Un sourire glacé, le regard dur.
« Oh tu es là, ça fait un moment que je ne t'ai pas vu traîner dans mes pattes, où est-ce que tu étais passée ? T'a-t-elle demandé de son air désinvolte.
— Dans la chambre... j'étais punie...
— Mais, je pensais que tu étais passée à autre chose, la punition était levée depuis un moment. Je te pensais assez intelligente pour le comprendre.
Ces instants sont l'ébauche de la difficulté que tu as à la cerner depuis quelques temps. Tu ne sais plus sur quel pied danser et cela n'est pas évident pour toi, ma petite Esor.
— Allez oublions, va prendre ton repas. Il y a des restes au frigo, tu dois avoir faim. La prochaine fois ne tarde pas autant, ce n'est ni un self ni un hôtel ici.
Véritable incompréhension, tu coopérais néanmoins par peur d'envenimer les choses si le contraire tu faisais. Naissance d'une boucle infernale que tu ne pourrais contrôler car elle ne cessera de t'échapper. Cela ne pouvait être autrement, ils avaient les cartes en main et un seul claquement de doigts suffirait. Esor sera toujours là, tapie dans l'ombre comme cet autre qui l'habite, prête à tout pour ne pas sortir de ce carcan. Pour continuer de se courber sous cet asservissement régi par une bienveillance inexistante.
C'est dans ces conditions que, très tôt, tu t'es sentie exclue. Tu as vite compris que si tu ne répondais pas aux quatre volontés de tes proches, tu allais être moins aimée et mise de côté, c'est triste mais c'était ainsi. Peut-être cela t'a-t-il servi de leçon. Quelques années plus tard tu seras bercée par une haine insoupçonnée à cette époque. Très tôt tu as saisi que la violence n'était pas que physique, qu'elle était encore plus douloureuse quand elle était masquée par les mots, parce que les plaies sont internes et resteront là, vives, et les bleus sur ton cœur ne s'estomperont pas en y appliquant la simple pommade qu'auraient pu être leurs excuses. Trop tôt, maintenant trop tard. Dès notre plus jeune âge tout était décuplé. Tu ne pouvais pas encore comprendre ni mettre de mots dessus mais tes sursauts étaient fréquents, tu semblais t'être égarée. Quand un enfant s'égare, un autre peut-être se trouve. Mon petit ange tombé du ciel.
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Esor e(s)t moi 🥀
General Fiction«Parfois j'ai besoin de me poser, être seule et me parler à moi-même, pour être sûre que je ne me file pas entre les doigts, que le temps n'emporte pas tout ce que je suis et tout ce que j'étais jusque-là, que les autres n'empiètent pas sur la propr...