Ce « Cher Baba » en a aussi fait les frais de ces années qui passent et ces coups dont elles sont parsemées, pour ne pas dire fracassées et marquées au fer rouge. Plus d'une fois ce pauvre journal a passé la nuit dans ta poubelle, tu voulais l'éloigner, tu voulais que les événements s'effacent, qu'ils n'aient jamais existé et que ces mots qui le tapissaient, en les supprimant, change le cours de ton histoire pour toujours. Mais ton histoire est restée douloureusement intacte.
Jusqu'à ce jour. Plus de deux ans de thérapie, un suivi si constant et, en un quart de seconde tout s'annule, s'effrite, s'effondre.
Remise à zéro.
Compteur vide.
Le néant.
Le seul point positif, EDF n'aura pas besoin de passer ce mois-ci.
Et malgré ça tu pensais enfin, après tant d'années, voir le faisceau aveuglant de la lumière, que la vie te fasse signe, que le bout du tunnel et la voie de la délivrance s'offrent à toi. Je ne te parle pas de la mort, entendons-nous bien Esor, évidemment. Pas encore, pas maintenant. Ainsi t'es-tu mise toi-même au pied du mur. Elle attendait, tapie dans l'ombre, avait déjà commencée à te ronger depuis des mois, des années.
Dépression.
Tu trouves ce mot ridicule, laid, faible. Les mots manquent de force, ne se suffisent pas à eux-mêmes.
Dépression.
Simple mot dépourvu de toute émotion mais qui a rythmé les tiennes ces dernières années. Énième introspection. Sensation de chaleur. Trou noir. Tu as l'impression de t'être encore perdue, ma douce Esor. Tes défenses rendues inexistantes depuis longtemps, tes barrières ont fini par s'effacer définitivement. Tu n'étais plus qu'un amas d'adjectifs tire-larmes qui avaient comme but un enrichissement morbide.
Tu as erré dans ces couloirs comme les pensées dans ta tête. Te concentrer pour les faire partir, les affronter n'est plus possible pour toi. Alors tu cherches à les enfouir, les oublier quelques instants, que ne donnerais-tu pas... Connaître juste une dernière fois la joie, celle qui submerge ton être tout entier, te noyer à l'intérieur d'elle jusqu'à ne plus respirer, rire à en pleurer, dire adieu à notre tristesse une bonne fois pour toutes. Ce souhait que tu chéris tant. Et tu écris. Seule solution que tu as trouvé, seule, assise sur ces draps blancs qui ne t'appartiennent plus vraiment. Tu divagues puis te rappelles à l'ordre. Les larmes ont cessé, tu réussis peu à peu à reprendre ton souffle. Arrêter d'écrire tu ne veux plus, cela t'effraie même, cette brise glacée réapparaîtrait et te saisirait comme elle t'a saisie de trop nombreuses fois. De ton authenticité face à la vie il n'y aurait plus. Ainsi on continue de les écrire, ces mots, yeux dans les yeux, on continue de les faire glisser sur le papier à en avoir mal à la main et au dos tant cette position est douloureuse, incongrue. Qu'est ce qu'ils diraient, s'ils te voyaient...
Chaque matin, Esor prie pour réussir à voir le monde d'un œil nouveau. Ajuster sa vision à celle des autres, les comprendre, connaître l'harmonie, l'échange vrai. Saisir enfin ce qui les anime et les encourage à continuer, malgré tout. Seulement elle n'y arrive pas, faire semblant n'est plus possible alors sa bouche reste close, ses yeux aussi ne parlent plus, leur lumière est presque éteinte. Quand elle se décide à faire une pause, se ressourcer, tout reprendre à zéro, ses pensées entendent l'inverse. Et c'est lorsqu'elle comprend qu'elle ne peut appuyer sur le bouton « pause » de sa vie que son désarroi et sa tristesse s'accentuent, que les personnes qui t'ont blessé, qui qu'elles soient, resteront les personnes qui t'ont blessé et te blesseront encore.
Nouveau matin, alors. Tu ouvres les yeux. Tu es vide et tu te sens bien à la fois. Cette frontière est si infime en nous. Les coins de ta bouche se haussent légèrement et je partage ton sourire. Le poids dans ta tête et dans ton cœur, lui, n'est pas encore réveillé. Tu revis un peu, inspire, et te précipite pour poser sur le papier ces quelques instants d'émerveillement.
Oubliés.
Volatilisés.
Tu tenais les mots mais ils sont partis sans avoir eu le temps de tout à fait t'imprégner. Ils existent toujours mais hors de ton esprit maintenant. Elles, sont toujours là. Présences fidèles que tu ne souhaites plus. Bruits, odeurs, tu te renfermes. Elles te froissent et t'abîment. Peu à peu pourtant tu sembles comprendre que ta vie est la tienne, non la leur, sinon la nôtre. Ma main reste ouverte et j'attends que tu la saisisses, qu'on se retrouve, qu'on s'échappe. Que devienne rayonnante la noirceur de notre âme. Tu l'as senti Esor, qu'à ce moment précis, la lueur n'attendait que toi et que, sans pour autant te dévouer tout entière à la loi de l'attraction, tu voulais bien y croire et lui sourire, sincèrement.
Parce que même si les autres te piétinent tu trouves ta vie si douce. Elle t'accueille, te porte et marche au pas, tente de te rattraper quand les autres t'emportent et t'aspirent dans leurs routines et leurs idées préconçues. Toi, nous, Esor, avons grandi et gravé en nous la vérité, celle qui dit que les opinions divergentes ne devraient pas être un frein à l'ouverture d'esprit, que la malveillance peut être évitée et que, non, certaines de nos émotions ne peuvent être formatées. Alors tu gardes cette vérité qu'est la tienne, douloureuse par moment c'est aussi celle qui t'aide à ne pas flancher et à avancer, toujours à contre-courant. Enfin, c'est quand tu comprends que tu vis dans une prison et la signification de l'expression« l'enfer c'est les autres » que l'étau autour de ton cœur se desserre.
Si doux est le répit, aussi court soit-il. Savoure-le, laisse-toi porter et vis. C'est possible, tu le ressens, rend-le possible et vis-le. Que ton âme soit apaisée et douce, laisse-la glisser comme tous ces mots piquants qui ne te sont, au fond, pas vraiment destinés. Sois heureuse et ne te tais pas lorsque tu ne l'es plus mais ne va pas plus loin Esor, entends-le. Savoure et accepte simplement cette possibilité qu'est la vie, ta renaissance. Fais-le. Souffle enfin. Et ne pleure plus.
Voilà comment Esor aimerait raisonner, arrêter un peu de se battre contre des faits qui ne sont pas de son ressort. Ces instants de répit ne s'éternisaient jamais et t'étaient subitement, violemment arrachés, je le sais, ma douce. Que dire face à cette méchanceté soudaine qui te faisait front alors que tu te délectais de quelques moments de joie ? Ceci était cruellement compliqué à gérer et, j'avais beau être là, tout près de toi, tenir tête à tes bourreaux n'était plus une simple question de volonté. Ils te possédaient. Tu te dépossédais. Tu n'avais de cesse de te dire que cette fois serait la dernière, que tout irait mieux, il fallait y croire. Nous y avons cru et les conséquences n'en étaient que plus amères. Une claque n'a jamais tué personne, s'amusaient-ils à dire, mais leurs mots, eux, nous ont anéanti. C'est de ma responsabilité d'aller bien aujourd'hui. Je ne suis pas coupable, mais c'est à moi d'aller mieux. Le changement est une porte qui s'ouvre de l'intérieur, le bonheur aussi.
Foutaises.
Tôt ou tard, tout redeviendra poussière.
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Esor e(s)t moi 🥀
General Fiction«Parfois j'ai besoin de me poser, être seule et me parler à moi-même, pour être sûre que je ne me file pas entre les doigts, que le temps n'emporte pas tout ce que je suis et tout ce que j'étais jusque-là, que les autres n'empiètent pas sur la propr...