Lui 🎇

6 1 0
                                    

    Mais avant de se plonger dans la nouveauté redoutable de sa vie, Esor souhaite se pencher sur le contexte, l'établir pour mieux exposer ses ressentis futurs qui la hantent encore. Chambre divisée, partagée avec sa sœur, elle n'était pas seule mais le souhaitait. Elle s'en était contentée jusqu'à maintenant. C'était désormais trop à supporter. Petites épaules, gros fardeau. La prendre pour exemple et se nourrir de son opinion. Les vêtements, trop colorés. Je sais pourquoi c'était ton choix Esor, tu la trouvais bien terne cette vie, tu voulais l'embellir à ta façon. Mais mets au placard ces couleurs, anéantis-les, fais ça pour eux. Si calme et si féroce au plus profond de toi, et si... lente. Dis-moi, qu'est ce qui te caractérise au fond ? Crie-le, pour de bon, qu'ils te foutent la paix. Crache-leur dessus, dis-leur que tu le sais, que tu sais qui tues. Répète-leur qu'ils ne te connaissent pas, eux. Que tu n'en as rien à faire de leur avis, de leur point de vue d'adulte sur ta vie, sur ton comportement. La crise d'adolescence était devenue la réponse à tout, pour eux et un peu pour nous, aussi. Besoin d'air. Elle est longue, cette crise. Violente persécution pour toi Esor. Pour nous. Tu cries encore, tu frappes, longtemps. Et je suis vide. Ta tempête se termine. Après la pluie le beau temps. L'arc-en-ciel se fait encore attendre.


    Si c'est ainsi et tant que nous y sommes : quand as-tu cessé de t'aimer, petite Esor ? Si fragiles tu es, est-ce à partir de là ? Est-ce à cause d'eux, de toi, de nous ? Tu les as tant envié, tu les envies encore. Je le sais, je le vis, je le sens. Tant souhaité respirer imperceptiblement et seulement par besoin, comme eux. Seulement nous, nous respirions pour la simple raison qu'il s'agissait de la seule chose qui nous faisais nous sentir vivantes. Était-ce prévisible ?Destin faillible. Alors tu mangeais. Faille à combler, âme noire à nourrir, tu as obéis. Tu t'es obéis, tu m'as écouté, de toutes les forces qui habitaient encore ton corps, celui que tu as tant de mal à aimer.


    Et un jour, une de tes seules perspectives était de retourner vers lui. D'où cela venait ? Tu ne savais pas, tu avais cessé d'essayer de comprendre me diras-tu. De cette brèche tu te souviens très bien, ce fut une de celles durant lesquelles l'incompréhension et la colère t'ont envahi. Tout ceci était devenu routinier, ces jours, pointant le bout de leur négativité une fois par semaine si ce n'est plus. Ta meilleure amie te faisait te sentir inexistante. Je ne dirais aucun nom Esor, tu as assez mal, je le sais, je le sens, et je le vis, ici encore. Elle était là, imposante, amie de tous. Illusion, tu le sais, mais elle était présente, plus que toi. Suiveuse tu es restée. De ce jour tu as gardé une image d'ignorance, te sentant futile tu as été négligée. Tu attires ce que tu es. Mais pour qui se prenaient ces gens qui te poussaient au second plan en un revers de mot alors que même toi, ma douce, tu n'osais pas te l'infliger personnellement ? Marre de ne pas exister, d'être ainsi traitée, tu t'es énervée. Que tous aillent se faire voir. Le professeur, les roses pourpres derrière le bosquet du bâtiment C, le banc décrépit aux pieds bancals, les deux mille élèves. Tous. Partez, foutez le camp et ne revenez pas sans que je ne vous en donne l'autorisation. C'est ce que tu désirais. On s'est concertée, on a voulu le crier sur les toits, leur cracher notre tristesse, notre colère, notre résignation et notre peine si profonde au visage. Égoïstement tu voulaient qu'ils payent pour tous tes maux. Crachat purulent et douloureux que toujours, dans un coin de ton cœur, tu détiens. Tu le retiens, tu ne veux pas le laisser partir, comme si, désormais, il s'agissait d'un bout de toi, de ta petite personne. Et ainsi tu l'as fait, tu t'es imposée, tu t'es écoutée et tu l'as enfin fait. De nouveau il était là. Innocent, profond, beau, produit sociétal que tu aimes tant, fruit de parents qui l'étaient également, trop, t'es-tu permise de juger. Comme nous tous. Grandes épaules, gros fardeau. Et tu n'étais plus seule. Fardeau moins lourd pendant un temps, divisé et réparti, peut-être un peu trop sur lui. Dès lors on a cru, Esor, que sous ton air contrit, cette place à combler, aussi petite soit-elle, était toujours présente. Ça a commencé dans ton cœur, ça a suivi dans ta tête, alors tu l'as écris. C'est en l'écrivant que tu l'as extériorisé. Extériorisé et rapidement compris que tout ne durait qu'un temps, jusqu'à se briser, les amitiés que tu as vécues en sont l'exemple concret, la distance prise avec ta famille aussi. Tu as du mal à te décrire et à parler de toi Esor, ça saute aux yeux. C'est toujours profondément compliqué de parler de ce qu'on ne connaît pas.

Esor e(s)t moi 🥀Où les histoires vivent. Découvrez maintenant