Le collège a été pour toi un changement de grande ampleur. L'appréhension a longuement été présente, t'accompagnant dans cette nouvelle cour des grands que tu ne connaissais que trop peu pour t'y sentir tout à fait à l'aise et en sécurité. Cette immensité grouillante, grandes personnes intimidantes, salles nombreuses. La liste est longue, tu hésites à trop t'attarder sur ces faits qui constituaient ton environnement de l'époque. Les sentiments de perdition et d'abandon ont été tes premiers camarades. Des amis, dans ta classe, tu n'en avais pas. Des connaissances seulement. C'est à cet instant précis que nous l'avons rencontré. Que les prénoms ne soient pas partagés, divulgués, retranscrits et clamés sur les toits, je suis d'accord, Esor. Tout se bouscule et mes tentatives pour ne pas blesser te blesser sont vaines. J'ai encore tant de choses à dire, ma douce, sur cette période de notre vie. Toi aussi, je le sais. Tu dois relater les détails, les repenser, tout en te demandant s'ils en sont réellement. Tu as des doutes alors tu oses quand même, ainsi les doutes deviendront-ils peut-être des certitudes. Ne doute pas et lance-toi, je suis là.
Ainsi, seule dans ta classe, tu ne connaissais les quelques personnes qui t'entouraient seulement de vue. Tous étaient calmes, attentifs et souriants, apportant un léger réconfort à cette inhérente tristesse. C'est le cœur lourd que la séparation a eu lieu, cette merveilleuse amie qu'était la tienne, celle de ton enfance, l'instant d'après ne l'était plus en rejoignant cette nouvelle école. Vous étiez restées soudées pendant deux ans. Cette amitié peu à peu dissolue en fera naître une nouvelle, plus longue, plus forte, plus piquante. Période de transition avec la certitude que ton devoir serait de t'endurcir, tu t'en sortais moyennement. Elle a été ton pilier, ton miroir et t'a permis de camoufler tes failles.
Fidèle au poste depuis toujours, tu emmenais partout avec toi ta timidité qui s'est accentuée lorsque tu as mis un pied dans ce nouvel établissement auquel tu ne t'étais pas encore acclimatée, où tes repères n'existaient pas encore. Derrière cette retenue naturelle et ta nouvelle alliée, nous avons commencé à nous effacer, ma douce Esor. Tu te cachais derrière elle, appréhendant chaque nouveauté, chaque changement, chaque imprévu qui ponctuaient tes journées. Tu es devenue angoissée, presque morose parfois. On avait du mal à te cerner, à comprendre cette habitude que tu avais prise de te replier sur toi-même, cette capacité à ne plus dire un mot pendant plusieurs jours, n'en ressentant aucunement le besoin. Garder en toi tout cela était une forme de prévention et d'auto-réconfort que toi seule pouvait maîtriser et t'offrir. Longtemps, pour ne pas dire toujours, tu t'étais sentie incomprise. Tu étais incomprise. Le stade du simple ressenti était passé, un nouveau cap avait été franchi. Chaque regard posé sur toi te faisait te sentir étrange, différente. Tu n'aimais pas l'Autre. Sa disparition t'aurait importé, si ce n'est réjoui. On se tient la main, se concentre. Dissiper ce brouillard n'est pas évident alors je t'accompagne comme je l'ai toujours fait. C'est ainsi que nous avons appris à avancer. Ensemble. Viens alors le moment où tu as goûté à la lecture, aux livres et à leurs genres si divers. Ils t'ont transporté, fait voyager, parler, rire et pleurer. Tu aimais te retrouver en eux et y repenser une fois la dernière page tournée. Les mots s'insinuaient en toi, n'obéissant à aucune règle. Sans aucune loi tu les laissais fleurir dans ton esprit, sourire aux lèvres. Et comme chaque instant de vie, le temps t'a paru long, y compris lors de ces lectures qui se prolongeaient mais que tu ne cessais malgré tout d'apprécier avec délectation. Tu aimais que chaque mot ait son importance, quand ils s'éternisaient et offraient de multiples tournures de phrases qui percutaient le lecteur comme un mistral fougueux ou une douce caresse mélancolique. Des mots qui ne demandaient pas d'être simplement lus, mais ressentis et vécus. Une fois dévorés tu aurais pris plaisir à les faire revivre. Assise sur cette chaise inconfortable tu aurais eu la capacité de te téléporter, remonter le temps et inhaler chaque instant passé, apprécier chacune de ses odeurs devenues familières et si chères à ton cœur qui te réanimeraient. Simplement, profiter de ces quelques derniers instants où tu touchais encore le bonheur du bout des doigts.
Le temps est passé et tu as pris de l'assurance. En apparence, j'entends bien, belle Esor. Toutes deux nous avons apprivoisé les lieux, bien qu'assez embarrassées dans de nombreuses situations. L'école ne sera donc jamais ta deuxième maison, c'est une certitude. Néanmoins tu ne te sentais plus aussi accablée qu'au début, le ciel ne te tombait plus sur la tête et tu lui en étais reconnaissante.
Certains moments de flou m'empêchent de continuer, l'anachronisme te fait peur. Tu ne veux pas t'égarer, oublier et finir par confondre ce que nous avons vécu. Désespérément nous avons tenté de nous raccrocher aux quelques souvenirs encore ardents, en vain. Ta fameuse boite à souvenirs nous auraient sûrement aidé à continuer. Que la retranscription de toutes ces années ne soient pas si laborieuses et ne nous coûtent pas tant. Mais c'est ce qui fait la valeur de l'écriture, trouves-tu. Un être torturé qui confie son âme et ouvre son cœur au lecteur. C'est ce qui fait son importance si ce n'est son charme et sa beauté. Tu ne veux pas faire dans le grandiose, le caricatural ou le déjà-vu. Stylo à la main ou doigts qui pianotent sur le clavier, tant de portes pourraient s'ouvrir à nous. Saisissons-la, cette occasion. Écrivons. Que le lecteur se reconnaisse ou non dans tes mots, tes confidences, qu'il te haïsse ou soit épris de toi, tout cela lui revient et ne dépend que de lui. Apprend à accepter les opinions qui divergent. Tout est subjectif, les mots les premiers. Leur sens ne les rend pas moins vagues, ils sont interprétés comme bon semblera par l'Autre, prêt ou non à accueillir ton histoire, à la laisser faire écho en lui. C'est ce que tu espères, que les analyses manichéennes soient oubliées et que l'ouverture d'esprit s'impose plus forte que tout.
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Esor e(s)t moi 🥀
General Fiction«Parfois j'ai besoin de me poser, être seule et me parler à moi-même, pour être sûre que je ne me file pas entre les doigts, que le temps n'emporte pas tout ce que je suis et tout ce que j'étais jusque-là, que les autres n'empiètent pas sur la propr...