Semblable aux fois où les événements de ta vie passent et changent du tout au tout en un quart de seconde, au contact du bitume ton pas décidé est peu à peu devenu traînant. Le retour à la réalité n'en était que plus douloureux. Encore une fois elle n'était pas venue. Et toi ma douce Esor à t'efforcer de te rappeler chaque date, chaque minuscule détail si important à tes yeux. De ces années passées ensemble, voilà ce qu'il en reste. Un semblant de rien, pas même une once d'espoir. Était-ce alors cette fin qui vous attendait ? Quoiqu'il advienne, ça devait se passer ainsi.
Une amitié envolée, tu as été oubliée.
Il nous arrivait de devoir nous plonger dans le flot de la vie autre que pour être face à une rude déception amicale. Rejoindre ce tourbillon qui accaparait chacune de tes pensées lorsque tu te retrouvais seule face à ton ombre. Plongée dans tes souvenirs tu repenses à ces moments passés qui font ton présent. La bibliothèque de grand-mère te manque, son odeur si particulière et ce fauteuil d'un rouge intense qui donnait de l'authenticité à cette pièce trop vite remplacée.
Tes explorations en pleine nature, une nature d'un calme aussi doux que de la soie et te ressourcer auprès des animaux, voilà ce qui constituait à présent le peu de bonheur que tu tirais de tes instants en tant qu'être humain. Et lorsque soudainement ce goût de vivre te reprenait, tu connaissais tous les excès. Lassée, tu passais du tout au tout. Les bains de foule que tu haïssais tant et qui te terrorisaient étaient une de ces issues inattendues que tu choisissais. Tu te sentais enfin normale, mêlée à ces gens sans qu'une crise d'angoisse ne pointe le bout de son nez et te tétanise. Tu as pris une inspiration et, sur un coup de tête et après une avalanche d'émotions, colère, joie, tristesse, incompréhension, tu as franchis le pas de la porte.
Tout est décousu pour toi, ma belle Esor, tu ne sais pas, ou ne sais plus. Tout est décousu parce que c'est ainsi que tu as appris à vivre, sans avoir ton mot à dire, en ne pouvons faire confiance aux autres dans de rares cas seulement. Te taire est devenu synonyme de paix, du moins échappais-tu partiellement au jugement d'Autrui. Comment et pourquoi vivre en communauté si tu ne peux pas te confier ? Avec les années qui passaient tu devenais une bombe à retardement. En voulant te protéger et protéger les autres tu allais t'emprisonner avec pour seule compagnie ta souffrance qui se ferait un plaisir de t'accompagner à ton insu, te déléguant ces bagages trop lourds pour un petit être humain comme toi. Alors tu as continué de vaquer seule, auprès de toi-même tu penses et cherche à comprendre.
Ton âme noircie te pèse, tu coules petit à petit.
Aucune oreille bienveillante n'aura été assez présente pour t'écouter quand tu en avais besoin. Mais jamais tu ne prononceras ce mot qui te semble être ton destin. Tu es blessée, et patiente.
Retour sur toi-même, flash-back. Tristesse. Peur. Colère.
Oh, mon Esor... Elles te sautent au visage, te rongent, t'accablent. Tu te bouches les oreilles, très fort, endurcissant encore un peu plus cette barrière qui protège le peu d'âme vivante qu'il te reste. Tu écris. Tout. Vite. Rapidement le rythme s'intensifie et se précipite sur le papier. Ne pas t'arrêter, attendre que la crise passe. Ton malheur est minime arrête un peu contente-toi de ce que tu as tu es insupportable pourquoi ne fais-tu pas comme tout le monde sois heureuse je suis profondément fatiguée de toutes tes histoires Esor laisse moi respirer cinq minutes ce n'est pas possible d'être aussi empotée. Les biens matériels t'écrasent, t'empêchent de respirer. Que tout passe à la trappe. Mais tu ne fais que te plaindre stop arrête tes bêtises d'accord tais toi et viens m'aider plutôt c'est ça pleure si ça te fait plaisir qu'est ce que j'ai fait au bon dieu pour avoir une fille pareille voilà Esor et tous ces problèmes ça lui passera sa crise d'adolescence est un peu plus longue que la normale remue-toi un peu qu'est ce que tu es lente et change de tenue à quoi te sert le miroir que je t'ai acheté à rien visiblement. Véritable perversion.
A quel moment et pourquoi est-ce devenu normal de craindre sa propre famille ? De craindre le monde entier ? C'est le mot, la crainte te berçait. Tu les craignais. Ils t'effrayaient par leur imprévisibilité dévastatrice. Chacun de tes faits et gestes étaient mus par cette méfiance qui se faufilait derrière cette timidité presque innée, tes envies de liberté et de ne plus être intimidée étaient étouffées par la peur d'être définitivement abattue par leurs propos cinglants.
Péniblement, les tentatives pour t'en sortir n'en étaient que plus harassantes. Chaque recoin, chaque petite parcelle de ton énergie s'estompait, et quand tu pensais enfin avoir fait main basse sur tout cela, les petits soldats n'en revenaient que plus forts et déterminés à te cribler de leurs balles empoisonnées.
C'est pourquoi de ton côté tu persistais à ne parler de rien à personne, établissant chaque petit projet à l'abri de tous pour qu'ils ne s'effondrent pas de nouveau face à leur antipathie et leur paroles perfides. C'est ensemble que nous partagions ces nouveautés survenues à l'adolescence, toutes ces premières fois face auxquelles nous étions désarmées et désespérément seules. Tu étais seule quand tu as été exposée aux premiers mots blessants à l'école, seule face aux premiers coups, seule quand tu as été humiliée, seule lorsque tu pleurais, seule quand tu as eu ton premier copain, seule face à tes premières règles, seule face à ta première fois. On pouvait compter l'une sur l'autre mais c'était tout, nous ne pouvions pas aller plus loin, à cet âge déjà tu avais pris conscience de cette traîtrise qui pouvait te poignarder si parler tu osais.
Seules ensemble. Ensemble mais si seule.
Alors on a préféré se confier par écrit. Retranscrire ces mots qui résonnaient dans nos têtes malgré nous, malgré tout. Et malgré tout nous avons toujours été là, fidèle à ce poste qu'est notre vie et que de nombreuses fois nous avons voulu quitter, tout lâcher comme si cela allait tout arranger, sauter du navire et les laisser porter notre détresse si détresse ils ressentaient. Nous sommes là et ne rien oublier est plus important que tout, ne pas oublier ceux qui n'ont pas été là et ceux qui l'étaient. C'est un hommage à elle-même que Esor établit ici. Certain dédie leurs écrits à leur famille qui compte beaucoup pour eux, d'autres préfèrent remercier leurs professeurs, leurs animaux et ces personnes à qui ils tiennent.
Les personnes qui ont toujours été là pour Esor c'est elle, c'est moi.
Mon Esor, toi qui veut tant être aimée, es-tu sûre des moyens employés ? Petite fille triste se laisse porter.
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Esor e(s)t moi 🥀
General Fiction«Parfois j'ai besoin de me poser, être seule et me parler à moi-même, pour être sûre que je ne me file pas entre les doigts, que le temps n'emporte pas tout ce que je suis et tout ce que j'étais jusque-là, que les autres n'empiètent pas sur la propr...