Et les colonies, t'en souviens-tu ? Ces colonies qui s'ajoutaient çà et là, en parallèle de ces jours d'école pénibles à supporter. Ces périodes de vacances scolaires que tu redoutais tant et lors desquelles tu partais loin de chez toi en compagnie d'enfants inconnus. La foule, le bruit, le bus, les odeurs, le sentiment d'abandon, la peur. Petit grain de sable ou brin de blé qui s'agite au vent tu aurais aimé être dans ces moments-là. Au revoir maman, au revoir papa, au revoir famille. Sourire franc de départ, tu te réjouissais à l'idée des activités qui étaient promises. Tu étais enfin une grande, tu te sentais grande. Un si grand envol pour une si petite fille. Car oui Esor, petite tu l'étais. Poupée de porcelaine que nous étions, ce grand saut dans l'inconnu nous a vite effrayé voire tétanisé. Au cours de toutes les colonies auxquelles tu as participé, la nuit était l'instant que tu redoutais le plus. Le plus effrayant. Je l'ai vécu avec toi ma petite Esor et j'engarde toujours cette boule au ventre, celle qui, avec le temps, nous est devenue si familière et a fini par se terrer définitivement derrière notre estomac. De ces expériences infantiles tu as gardé cette peur incontrôlable de ne pas pouvoir avoir la mainmise sur tous les éléments et les événements qui t'entourent et qui te poursuivront tout au long de ta douce vie. Mais tu le sais, nous les avons, Autrui est imprévisible, la vie l'est, la notre aussi, alors comment faire ? Tu te demandes si ta place ici tu as vraiment. Tu as mal.
Entre deux activités, tu l'as aperçu :
« Ça fait mal ? lui demandes-tu.
Sang et larmes tu vois, douleur tu partages.
— Non.
Il ment, te dis-tu.
— C'est un mensonge. Tu saignes, arrête s'il te plaît, t'es-tu mise à murmurer entre deux sanglots.
— Laisse-moi tranquille, petite moche »
Froncement de sourcils, moue désapprobatrice, visage barbouillé. Arbres et petits cailloux gris factices, où êtes-vous ? Tu aurais aimé qu'ils soient là pour te rassurer. Regard baissé, moue si dure pour une enfant, cœur au bord des lèvres. Tu voulais pleurer, petite Esor, mais tu as lutté. Tu ne l'as pas fait. Tu t'es sentie forte. Tu assorti ton « cher journal » des hautes herbes, récupéré ton sac où étais rangé ton goûter et tu as écrit. Et seulement après tues partie. A cet âge tu étais partagée entre la raison et l'innocence, tu ne savais pas vraiment ce que tu faisais mais tu y tenais, tu l'as fait. Montagnes à portée de vue, tu en as pris plein les yeux sans même t'en rendre compte. Jamais nous ne nous étions rendues dans cette région et malgré sa beauté, cette jolie Provence s'est peu à peu effacée de ta mémoire. Ou peut-être était-ce là ton souhait que d'oublier cette excursion et les événements qui s'y sont produits ? Pourtant, malgré tous tes efforts tu n'as pas totalement réussi, Esor. Je peux encore te relater certains de tes dires, certaines de tes actions.
Après avoir pris la fuite s'approchait peu à peu une forêt située non-loin du camp, et toi commençant à entrer en son sein sans le savoir. Les chemins sont devenus escarpés. Danger. Les Hautes-Alpes portent bien leur nom, as-tu pensé. Si je me souviens où tu es allée après ?Je souris. Tu lis la réponse sur nos lèvres. Tu te diriges vers le champ de hautes herbes qui se trouvent à l'opposé de ta route initiale. La forêt t'entoure, où que tu ailles tu irais à sa rencontre. Nous nous y sommes donc rendues. Ton innocence te rendait adorable Esor. Tu as sorti ta gourde, un œil sur le peu d'eau qu'il te restait, un autre sur le chemin caillouteux que tu escaladais. Vert profond étaient les sapins, tu as humé leur odeur et regardé autour de toi. Le camp se réduisait maintenant à un ridicule point noir. Le chemin laborieux, les arbres verts, les hautes herbes, les buttes de terre et la route étroite te séparaient de lui. Tu t'en es réjouis, puis tout en t'abaissant, les cailloux gris avec ta petite main bronzée tu as saisi, les faisant glisser dans la poche de ton short, nous avons continué. De longues minutes pendant lesquelles nous étions seules, rare moment, s'écoulèrent. Montre au poignet, tu as murmuré comme pour toi-même : « Petite aiguille pour les heures... Grande aiguille pour les minutes... » 20h32,as-tu alors déchiffré (difficilement, je le concède). Le ciel était constellé de nuages semblables à de petits êtres qui, comme toi, se laissaient guider par la brise de ce mois d'été, en quête d'un lieu rassurant où passer la nuit. Palette de couleurs devant tes yeux d'enfants, tu les as fermé aussi fort que tu le pouvais pour imprimer ce spectacle et le garder en toi pour toujours.
VOUS LISEZ
Esor e(s)t moi 🥀
General Fiction«Parfois j'ai besoin de me poser, être seule et me parler à moi-même, pour être sûre que je ne me file pas entre les doigts, que le temps n'emporte pas tout ce que je suis et tout ce que j'étais jusque-là, que les autres n'empiètent pas sur la propr...