Notre entrée au lycée, en seconde générale pour être précise, n'a pas réellement bouleversé nos habitudes. Proche cité qui sent les poubelles, réputation de l'établissement scolaire en déclin, la routine jusque-là. Une meilleure amie présente, la même qu'au collège, depuis quatre ans. A cette époque, des habitudes bel et bien installées. Différentes aujourd'hui, mais toujours d'actualité. Qui aurait pu me susurrer à l'oreille et me confier que ces habitudes si lambda soient elles, deviendraient et resteraient mes ennemis et les tiennes Esor ? Peut-être était-ce le point de départ, le signal auquel j'aurais dû faire attention. Et parler de cela, revenir des années en arrière, s'imprégner à nouveau de cette atmosphère si particulière dans laquelle je me sentais peu à peu, comme toi, me dédoubler... C'est éprouvant, ma pudeur en prend un coup mais Esor en a besoin, elle le crie. Elle le vit, encore, alors je le ferai.
Se fondre dans la masse était le maître mot au lycée, l'indispensable à ta survie en territoire hostile. Yeux baissés, regards peu appuyés, participation faiblement relevée. Cette discrétion bien que naturelle te faisait te questionner : pourquoi ? Qu'est-ce que c'est et jusqu'à quand ? Le temps pendant lequel nous nous complaisions ainsi fut long. Très long. Mais, entendez bien, et toi aussi Esor, que se retrouver et se sentir en paix dans ce mutisme et cette discrétion devenus normaux pour toi ne forgent pas une adolescente dans une société qu'est la nôtre. Ou peut-être ici aussi avons-nous fait fausse route. Chacun aurait donc sa propre vision, son propre ressenti de la société et de ce qu'elle véhicule en nous imprégnant dès notre naissance ? De vrais produits sociétaux originaux. Oxymore sociétal s'appliquant à tous, mettant l'homme dans des cases de droits et de devoirs tout en étant conscient de sa singularité. Pourquoi pas. Cependant, une fois cette multitude de stimulation cérébrale passée, ton cas était toujours similaire voire encore plus immergé sous cette croûte d'émotions trop peu criées, trop peu ouvertes, trop peu partagées au monde. Ces mots sont vrais, puissants. Esor, la gorge serrée, pleure. Ces tabous émotionnels lui sont insupportables, ensemble nous les avons traversé. Le malheur et la déprime s'abattent, l'abattent, ils veulent sa peau, ils veulent son âme, se nourrissent de sa tristesse. Partez. Que définitifs vous ne soyez pas, espère-t-elle doucement.
Esor est douce, vous savez. A l'écoute, réservée, elle n'ose pas. Elle n'ose jamais. Ce droit n'est pas mien, pense-t-elle sans cesse. Alors tout l'accable. Au lycée, la rentrée en première lui fait comprendre. Deux jours et ce fut la fin. De sa vie presque, mais pas tout à fait. L'âme va de paire avec le corps. Son âme et son corps, à Esor, l'ont lâchement abandonné. Elle pleure, encore. Elle ne connaît maintenant que ça. Son corps s'éprend toujours d'elle, son âme s'y ajoute, s'y retrouve, s'y installe. Elle est vide, sombre, sans issue. Nourriture comme radeau, son corps se complaît de nouveau. Et c'est tout autant son corps, qu'elle teste, que son esprit qui lui semble désormais si lâche. Ma tête est douloureuse. Son corps lui fait mal. Elle s'en veut, mais pourquoi ?D'être vivante, elle regrette. Encore. Au lycée elle n'ira plus, des amis n'en aura-t-elle plus, rires disparus. Plus jamais. Et de nouveau se sent-elle anormale. Elle l'est, tu l'es. Une différence qui les effraie, une différence qu'ils ne comprennent pas. Sinon pourquoi les psychologues, pourquoi les thérapies, pourquoi les regards hébétés de tes proches qui prétendent te connaître ? Tu avais tout Esor, tu n'as pas su faire face, tu t'es perdue, on t'oublie enfin. Son souhait était de connaître la vie d'adolescente, celle des livres, celle des films, celle dont elle rêvait chaque soir. Et dire que je pensais connaître te connaître... Elle aussi croyait ne plus avoir de secret pour elle-même. En partie réservée, pour elle comme pour les autres, peu à peu elle s'est perdue. C'est à ce moment-ci qu'elle a eu besoin d'eux, ceux qui ne sont pas elle mais qui semblait pourtant la cerner mieux que quiconque. Et quand elle en parle elle en pleure. Ses yeux restent secs. Regard fuyant, ses mots sont ses larmes. Entourée, la solitude l'emporte malgré tout. Ne plus sortir. Telle était devenue sa devise. Mesdames Répercussions étaient de mise. Quand sont passés l'accablement, les pleurs et les cris, vide, elle fit un trait sur ce beau monde. Elle qui voulait simplement connaître l'amour, savoir ce que sont l'affection et la tendresse, des sentiments qu'elle a tant de mal à contrôler désormais. Que les médicaments passent à la trappe et qu'ils ne reviennent plus. Qu'ils la laissent en paix. Qu'ils ne parlent plus à sa place. Qu'ils ne servent plus à la définir. Laissez-la, qu'elle parle enfin avec ses mots et ses émotions, bordel. Bonheur, montre-nous le bout de ton nez, Esor et moi sommes jeunes, ne nous ignorent pas ou nous mourrons. Nager nous savons. Dans l'océan qu'est la vie nous coulons.
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Esor e(s)t moi 🥀
General Fiction«Parfois j'ai besoin de me poser, être seule et me parler à moi-même, pour être sûre que je ne me file pas entre les doigts, que le temps n'emporte pas tout ce que je suis et tout ce que j'étais jusque-là, que les autres n'empiètent pas sur la propr...