La solution était sous mon nez depuis mon premier jour dans cette baraque. Je n'avais même pas capté alors qu'elle était bien plus qu'évidente, elle dansait en moi comme pour me réveiller et me faire repartir en France.
Allaitant la petite fripouille que j'avais mis au monde, je réfléchissais à comment j'allais me sortir de ce pétrin. Mon mariage était prévu pour samedi et il fallait immédiatement que je rentre en France, mais avec quel argent? Ma misérable paye ne m'offrirait jamais un ticket vers la France, il fallait donc que j'appelle ma tante. Et là, se posait la question: avec quel ustensile vas tu appeler ta très chère tante à qui tu n'as même pas dit au revoir? Parce que moi, je n'avais pas de portable, seule Chilla en possédait un. Il fallait donc que j'emprunte son téléphone et c'est ce que j'allais faire sans plus attendre.
J'avais posé l'enfant dans son berceau et m'étais mise en route vers la chambre de Chilla.
Je n'avais même pas eu à toquer qu'elle ouvrit la porte. Elle avait l'air...joyeuse. C'était parc que j'allais partir? Mais après tout, qu'est ce que j'y connaissais à la joie? Je n'avais jusqu'à présent ressenti que tristesse, colère et mépris! Je n'aimais même pas mon propre enfant.
Chilla me fit entrer et avec un grand sourire demanda:
- Qu'est ce qui t'amène?
Elle se posa sur son lit.
- Je voulais savoir si tu pouvais me prêter ton téléphone.
Son sourire tomba d'un coup, elle devint presque rouge et s'efforça de paraître compréhensive.
- Pourquoi faire? Demanda-t-elle avec une petite voix.
Je ne comprenais pas ce qui la mettait dans un tel état.
- Je voudrais appeler ma tante, pour rentrer en France.
Chilla devint encore plus rouge et abandonna tout air de gentillesse. Elle se pencha en avant et d'un sourire mesquin qui était propre aux psychopathes elle me souffla:
- Et tu crois que je vais te laisser faire ça?
Sa voix avait pris une étrange intonation roque qui me donna la chair de poule. Pourquoi disait-elle ça? Elle voulait que je parte, non? J'avais l'impression de comprendre mais ne voulais pas m'y avouer, par peur peut être. Et puis quoi encore? Je n'avais jamais eu peur, ça n'arriverait pas maintenant.
Je m'étais raidit et en faisant les cents pas dans la chambre, je demandais:
- Pourquoi pas? Je ne comprends pas où tu veux en venir Chilla. Je croyais que tu voulais que je parte.
La jeune fille poussa un rire démoniaque que l'on entend dans les dessins animés et s'exclama:
- Tu, tu, tu, tu croyais ça? Mais bien sûr ma chérie, tu as raison! Je veux que tu dégage de cette baraque. Mais pas comme ça. ( elle se leva à son tour et tourna en cercle autour de moi) Tu n'as pas remarqué, hein? Bah va falloir que je t'explique alors ma jolie! C'est tout con, écoute bien: je suis une psychopathe, et quelle est la spécificité des psychopathe ma jolie? Alors?
Elle s'arrêta à quelques centimètres de moi et comme pour insister sur sa question me regarda droit dans les yeux.
- Ils ne ressentent pas les choses comme des personnes ordinaires. Avais-je machinalement répondu.
Un grand sourire parcouru son visage et elle continua:
- Très bien ma chérie! Le problème dans tout ceci est que nous avons eu des enfants et pour je ne sais quelles raisons ça nous a chamboulé notre parfait petit esprit. Donc en clair nous sommes dotées de plus ou moins de sentiments. Et c'est là où ça se complique: tu as eu beaucoup de sentiments et apparemment, ce n'est pas encore fini, mais moi, je n'ai été dotée que de la jalousie.
Et bien j'avais très bien compris alors. Ce que je craignais était réel, mais je ne savais pas pourquoi. Pourquoi était-elle jalouse de moi à ce point? Et n'avait-elle pas mieux à faire que de me laisser en Inde?
- Tu ne vas pas me dire que tu es juste jalouse tout de même? C'est quoi la vraie raison? Qu'est ce que je peux faire pour que tu me laisses partir?
Elle me regarda un long moment dans les yeux et me souffla avec une tendresse que je ne lui connaissais pas:
- Ce que tu peux faire... eh bien, ce que tu pourrais faire c'est me proposer mieux que cinq cents piece d'or.
Ah...j'aurais dû m'en douter. C'était tout bête à comprendre en réalité: mon mariage avec Emira avait littéralement été vendu et pour un bon prix en plus et pour me faire du mal et par jalousie, Chilla ne voulait pas l'annuler. C'était vraiment très vache et si je n'avais pas été au centre de cette horreur j'aurais probablement applaudi son génie. Quoi qu'en réalité ce n'était pas si réjouissant que ça, enfin...
Chilla avait penché la tête pour se donner un petit air malicieux.
- Alors? T'as enfin compris?
Elle se mordit la lèvre, recommença à faire les cents pas dans la pièce et continua:
- Tu connais l'expression: pour un heureux, il faut des malheureux? Eh bien c'est exactement le cas de notre situation ici présente! Je t'explique: tu vas me rapporter de l'argent qui va me sortir de ce pétrin, tu comprends? Je suis un génie ma chère Marie. Euh...Maria pardon.
Elle faisait exprès de se glorifier comme ça? Je n'étais pas débile, j'avais juste à partir et je serais libre, ou pas? J'étais un peu perdue, je savais que si elle ne mentionnait pas que je ne pouvais pas m'enfuir c'était pour une bonne raison, mais laquelle, je n'en savais rien.
- Mais tu pourrais t'enfuir, non? (Elle cligna plusieurs fois des yeux.) Eh bien oui, tu pourrais tout simplement partir et finir à la rue, sans argent, sans téléphone, sans papiers, avec une gosse de trois mois. Et le pire dans tout ça c'est que tu ne pourras jamais rentrer chez toi, revoir ta tante et lui dire que tu l'aime, pour de vrai. Tu ne pourras pas aller à l'ambassade française, elle est bien trop loin. Tu ne pourras faire qu'une chose: mendier. Ou alors, tu épouse Emira, je gagne mon argent, tu te débrouille pour appeler ta tante, tu rentres chez toi et tout le monde est gagnant. Ça te dit?
J'étais stupéfaite. Je m'apprêtais à lui répondre mais elle me coupa:
- En fait je m'en fous que mon idée te plaise ou non, moi je la trouve merveilleuse et je veux qu'elle soit appliquée.
Je n'avais rien à dire. Elle avait raison. J'aurais fait la même chose à sa place même si elle aurait tout simplement pu me passer son téléphone. J'étais maintenant une poupée de chiffon, balancée de gauche à droite qui ne pouvait pas réagir au risque d'atterrir à la poubelle.
Chilla posa une main sur mon bras.
- T'inquiète pas ma chérie, Emira est très gentil. Le seul risque c'est qu'il ne sait pas encore que tu as un enfant.