La prépondérance des nuages sur les eaux du Récif Brumeux permettent au moteur à vapeur de filtrer d'autant plus de condensation. Par chance, aucune récidive de tempête ne s'est déclarée en trois jours de navigation. Cependant, les réparations de la Damnée sont conséquentes et ont nécessité une mobilisation permanente de l'équipage, plus que jamais restreint car en partie infirme. C'est ainsi que, malgré l'absence totale de confort des couchettes de la cabine des matelots, je n'ai pas passé de nuit plus reposante depuis des jours. Le tissu troué de mon hamac en serait presque devenu agréable : assez large pour m'envelopper, il me permet de me cacher afin de desserrer mon corset pour la nuit. Aucun soupçon ne semble orienté autour de mon grimage. Au petit matin, est primordial de vérifier qu'aucune boucle brune ne se soit échappée du bandana que je porte sur la tête. Une fois debout, je revêts le tricorne emprunté à Erling, accordant ainsi le rituel d'une pensée matinale à mon tuteur.
Il doit être seulement quatre heures du matin. Le reste de l'équipage dort encore à poings fermés ; seule la couchette de Takane est vide. Par précaution, Clifton est quant à lui resté sur le pont nuits et jours, aux côtés de son homme de vigie. Je reconnais son courage ; me concernant, je n'avais jamais passé de nuit complète en mer avant d'être à bord de la Damnée. J'ai toujours eu des impératifs m'imposant de regagner le port d'Æther en soirée : ne pas inquiéter Erling, d'une part, et assurer mon service à la taverne, de l'autre. Pour autant, ayant le sommeil léger, dormir des nuits complètes n'est pas dans mes habitudes. Il reste encore quelques heures avant que nous nous levions, aussi je décide de me lever. Après tout, bien que le cap que nous empruntons soit tout tracé, les quelques heures qui nous séparent de l'arrivée à Silvar pourraient me permettre d'appréhender mon espace de travail. Profitant de l'aurore à peine levée, je me dirige à pas feutrés jusque sur le pont. Takane et Clifton sont accoudés au bastingage et semblent discuter, trop loin pour que je n'intercepte leurs paroles ou pour qu'ils remarquent ma présence. Tant mieux, il est finalement rare de trouver des instants de solitude à bord. Je traverse donc le tillac à mesure que l'aube teinte la brume, jusqu'à la cabine de pilotage sous la dunette.
Le plancher de la petite pièce grince lorsque j'y pénètre. Sur la table de bois, au centre de la pièce, une vieille carte cornée est étalée et sur elle reposent quelques ustensiles de navigation. Les vitraux colorés de trois grandes fenêtres se laissent transpercés par des rayons rosés que je suis des yeux, depuis la table qu'ils balayent jusqu'aux murs sur lesquels ils se plaquent. De hautes étagères tapissent les cloisons boisées. À peine ai-je aperçu les livres qui les habillent que je ne peux m'empêcher de me diriger vers les couvertures de cuir. Machinalement, comme pour confirmer ma solitude, je regarde autour de moi avant d'effleurer du bout des doigts les lettres d'or gravées dans l'épaisse peau qui enveloppe les pages. D'aussi loin que je me souvienne, après toutes ces années à parcourir les archives de la bibliothèque d'Æther, il ne me semble pas avoir déjà vu de tels titres auparavant. Les ouvrages semblent très anciens, datés d'avant l'apparition de la mer de nuage. Perdue dans les pages jaunies qui craquent sous la pulpe de mon indexe, une voix rauque m'extirpe de mon extase :
« Bibliophile ?
Je délaisse les lignes d'encre pour les prunelles dorées de Clifton qui me fixent depuis le chambranle de la porte. Je balbutie :
- Ces ouvrages... Ils datent du monde...
- Ils sont plutôt rares, me coupe le capitaine. Je maintiens que les livres sont des trésors bien plus précieux que ce que la plupart d'entre nous recherche généralement.
- Alors, ils proviennent de pillages ?
Le pirate s'approche nonchalamment des étagères, me prend délicatement le livre des mains et le feuillette à son tour brièvement avant de répondre avec un sourire en coin en guise d'acquiescement :
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La Nébuleuse
RomanceDepuis plus d'un siècle, le monde est envahi par une épaisse fumée toxique, contraignant les populations à se réfugier aux sommets des montagnes. Sur AEther, le plus prestigieux d'entre eux, Serena Clayden ne rêve pas. Elle ne rêve plus. Malgré le f...