Chapitre 10

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 La conversation s'interrompt et une gêne s'installe. Je ne sais pas trop quoi comprendre ; je dévisage le Capitaine Yeraz en espérant attirer son attention, en vain. Rapidement, Bromley intervient et fait signe à Eberhard et Milo de l'accompagner sur le pont pour prendre la relève de la garde. Le mousse rassemble les bols et couverts ; sa main tendue dans ma direction me laisse doucement réaliser que je vais devoir suivre le mouvement. Je salue donc mes nouveaux compagnons et me retourne de manière à rejoindre les escaliers menant à la surface. Or à peine ai-je entrepris de passer le pas de la porte qu'une décharge électrise tout bras et me stoppe net : d'un geste court et précis, Clifton a saisi mon épaule pour de me retenir avant que je n'ai eu le temps de rejoindre le pont. De la main du capitaine déferle une vague de chaleur, inondant la chair le long de mon bras jusqu'à mon buste. Sans que je ne le contrôle, je sens mes joues s'empourprer, surprise par les ondes déchaînées qui s'emballent sous ma cage thoracique. Pas encore... Le flot déferle ainsi jusque dans mon bas-ventre et semble envahir mes reins avant d'enfin se dissiper. Ouf... Le sentiment de soulagement est presque teinté de frustration. Il brise le silence :

« On va laisser Bromley et les autres se charger de la vigie en attendant la fin du second service aux cuisines. Les nuages ont l'air plutôt calmes, pour le moment, mais on ne peut pas savoir comment ça va tourner. Il est impératif que tu aies une connaissance au moins partielle du navire.

Surprise de le voir enfin m'adresser la parole, je me permets d'employer un ton persifleur:

- Dois-je comprendre que j'aurai l'immense honneur de vous avoir pour guide ? Ça, alors ! Si je m'attendais à ce que vous soyez si peu vindicatif... ».

Clifton ne peut s'empêcher de sourire devant ma démesure pincée. Je ne sais pas si son changement d'attitude est dû à un sérieux qu'il cherche à tout prix à se donner devant son équipage, ou bien s'il essaye simplement de m'impressionner pour me brider. Quoi qu'il en soit, il a beau jouer les capitaines intransigeants, je sens qu'il est bien moins sérieux que farceur.

La Damnée est immense, ne serait-ce qu'au vu de l'effectif réduit de son équipage. De part et d'autre du pont, des escaliers conduisent soit aux cuisines, soit au reste du sous-sol. Clifton me conduit tout d'abord au niveau de la soute aux poudres, à côté de la salle des canons. Sa visite s'accompagne de commentaires brefs sur les stocks d'armes, que j'écoute religieusement jusqu'à ce que me monte à la tête une odeur familière de ferraille rouillée : les cachots de la cale. Mon estomac semble se retourner, songeant aux effluves nauséabondes de rouille, de transpiration et de crasse qui émanent encore des mailles fibreuses de mes vêtements. Le capitaine semble lui-même assez gêné pour ne pas s'attarder à l'enceinte de la prison de son bâtiment. L'étage inférieur est réservé aux couchages des matelots, l'infirmerie et, au bout d'un long couloir, la cabine du capitaine.

« Tu dormiras avec mes hommes. Je sais que c'est pas idéal quant à ta... condition, mais t'octroyer le droit d'avoir ta propre cabine serait injuste par rapport au reste de l'équipage. Et ça attirerait davantage l'attention, alors... J'espère que tu comprends.

Sans blague... En temps normal, je me permettrais de rétorquer en émettant des doutes concernant les pseudo espoirs formulés par le capitaine. Mais il va de soi que mes commentaires impertinents n'ont pas leur place sur la frégate ; je vais devoir m'y faire, je ne suis qu'un membre de l'équipage. À ce propos, j'attends que nous soyons remontés sur le pont pour enfin questionner le capitaine sur le destin qu'il me réserve à bord de son navire :

- Et donc, je me demandais... Y a-t-il un poste que vous souhaiteriez m'assigner ?

Clifton prend un temps pour réfléchir. Il se dirige sur la dunette ; la partie du pont située à l'arrière du pont et dédiée au commandement. Le ciel est d'un noir profond, constellé d'argent, ce qui confère à sa courte pause une ambiance dramatique.

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