Chapitre 17

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 Je ne sais toujours pas ce que je cherche, pourtant Dayela m'a dit que je le trouverai dans l'Ezume. Après toutes ces années d'exploration à travers l'archipel de Cordesse, j'ai du mal à croire que Carolina soit en ce moment même en train de se prélasser sur les rives d'un lac. Je suis d'un tempérament d'ordinaire méfiant, mais la simplicité de cette quête me laisse encore plus dubitative. Je reste donc sur mes gardes, avec la curiosité comme moteur. Aussitôt ai-je quitté la cabane que j'entreprends de parcourir le chemin suspendu dans les arbres, celui-là même que m'indiquait la prêtresse en direction de l'île du lac.

Certains passages sont plus étroits que d'autres et, malgré les vertiges que m'inflige l'alcool, je me force à concentrer mon attention sur chacune de mes foulées afin de ne pas tomber. Plus je progresse et plus le chemin devient difficile à pratiquer : les constructions en bois sont de plus en plus rudimentaires, les lianes de plus en plus effilées, quant aux ponts bringuebalants, ils semblent vouloir me précipiter vers une chute qui me serait fatale. Je commence à comprendre les conseils de défiance de Dayela. Enfin, je parviens à discerner le littoral de l'îlet. Je me frotte les yeux afin de mieux voir le paysage sous la douce lumière de la lune presque pleine, or mon sentiment de victoire est rapidement rattrapé par l'appréhension : le reste du parcours jusqu'à l'Ezume n'est certes pas bien long, mais il est suspendu au-dessus du vide. Si j'avais jusqu'à présent, en cas de chute, l'infime espoir de m'en sortir en rebondissant sur l'herbe molle qui tapisse Silvar, il n'y aura désormais plus de mousse ni de feuilles pour amortir ma chute. Rien d'autre que le vide sous la mer de nuage. En y pensant, je me surprends à avoir le souffle court ; je m'arrête quelques minutes pour reprendre mes esprits. Pourtant, plus j'observe le sol et plus la tête me tourne. Satané tongba !

Un pas après l'autre, je franchis le pont suspendu jusqu'à l'îlet où se trouve l'Ezume. Les planches délabrées craquent sous mes pas et manquent de se rompre. La sensation de vertige ne s'amenuise pas à mesure que je progresse, mes tempes semblent être prises dans un étau. Pitié, Serena, ressaisis-toi ! Ce serait un comble, à notre époque, que d'avoir le vertige ! Heureusement, les nuages commencent à couvrir la faible luminosité que m'offre la lune ; cela me force à ne pas me focaliser sur ce qui se passe plusieurs mètres sous mes pas hésitants.

Lorsque j'arrive enfin au niveau de la cime des arbres qui entourent le lac, la vue me subjugue : l'eau est si claire et pure ! Les buissons qui bordent le lac retiennent la brume polluée. Il m'est si rare de percevoir autre chose que de la fumée jonchant le sol des ports, que le reflet du ciel s'allongeant sur le lac me donne une impression d'immensité. L'Ezume est lui-même plutôt grand, assez étalé pour que je ne puisse en voir la berge opposée. Tout semble silencieux autour de lui, seuls quelques insectes résonnent. C'est plutôt bon signe : la présence de la faune renseigne sur la faible pollution, et son chant m'indique quant à lui que personne n'est actuellement planqué dans les fourrés pour la déranger - ou me nuire. J'entreprends de descendre des arbres par le lierre plutôt solide qui parcourt leurs troncs. Une fois arrivée en bas, je me stoppe net : une silhouette se tient à quelques mètres de moi, statique dans l'eau.

Quoi ?

Les paroles de Dayela me reviennent.

C'est impossible...

Mon esprit est bien trop cartésien pour croire aux prétendues prophéties d'une diseuse de bonne aventure.

Mais si je choisis de la croire...

Je plisse les yeux pour mieux percevoir la silhouette. Elle marche lentement dans l'eau fraiche qui lui monte jusqu'à la taille.

Carolina ?

« Carolina ! », je n'ai pas pu les contenir plus longtemps et mon souffle a emporté mes pensés assez fort pour faire vibrer mes cordes vocales. La silhouette semble tressaillir et se retourne dans ma direction. Je reprends de plus belles : « Carolina, c'est moi ! C'est Serena ! ». Elle a intercepté ma position et s'approche désormais dans ma direction. Ses pas s'accompagnent du léger son de l'eau claire remuée par ses jambes. Les larmes troublent ma vue tant cette vision semble irréelle. La toile noire du ciel se froisse en un millier de plis sur son passage, comme si les étoiles s'écartaient pour la laisser passer. Cependant, au mieux elle progresse jusqu'à moi et au mieux je discerne sa corpulence : il ne s'agit pas d'une silhouette féminine. La musculature saillante qui s'avance à quelques dizaines de mètres m'a plutôt l'air d'une armure de chair ; mon sang se glace, se fige, et je me sens comme paralysée sur place.

La NébuleuseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant