Chapitre 18

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 Le plafond de granit est si bas que nous peinons à nous y faufiler. Je suis assez petite pour rester assise sur l'herbe molle qui tapisse le sol. Clifton a quant à lui du mal à se contorsionner sans se cogner aux parois rocheuses et nous ne pouvons nous empêcher de pouffer devant le ridicule de la situation.

La pluie anime la nature, rend vivante chaque branche et fait réagir chaque feuille. Face à ce spectacle, nous restons quant à nous stoïques, recroquevillés dans la pénombre. Je reprends progressivement mes esprits et, à peine ai-je retrouvé le rythme cardiaque qui était le mien avant notre course effrénée, que je remarque la proximité entre mon corps et celui du pirate. La cavité est étroite et, contraints de nous y rencogner pour éviter toute éclaboussure toxique de la pluie, nos cuisses se pressent l'une contre l'autre. Je n'ignore pas l'effet que me fait le capitaine depuis ces dernières semaines, ni toute l'effusion que j'essaye désespérément de faire taire. Une fois n'étant pas coutume, je me concentre afin de ne pas céder à l'attrait de ces pensés en maintenant mon regard planté dans ce que j'imagine percevoir de l'horizon. L'abondance de la végétation tout autour me rassure plus qu'elle ne nous étouffe, comme un cocon sécurisant.

Malgré ce nid de fougères qui étreignent notre cachette, je ne suis pas la seule à ne pas trouver le sommeil ; la voix chaude de Clifton, allongé sur les coudes derrière moi, se joint au concert des gouttes de pluie tapotant les feuillages : « Tu trembles », remarque-t-il. Mes membres sont effectivement pris de soubresauts incontrôlés auxquels je n'avais jusqu'alors pas prêté attention. Je ne saurais dire si ces frissons sont dus à la fraîcheur de la forêt, celle de mes vêtements encore trempés par l'eau du lac, ou bien s'il s'agit de mon corps qui tente désespérément de s'exprimer au contact de celui du capitaine. Probablement les trois.

Sans que je ne m'y attende, Clifton retire sa veste, fouette l'air devant lui avec l'étoffe afin d'en retirer les quelques gouttes, et vient la placer sur mes épaules. En temps normal, ces attentions de chevalier-servant me débecteraient. Pourtant, je dois bien avouer que sentir ses bras autour de moi dans de telles circonstances est plutôt satisfaisant.

« Merci, vous n'êtes pas obligé de...

- Je n'ai pas froid, répond-il sur un ton insensible.

Ayant tourné la tête dans sa direction pour le remercier, je prends désormais conscience de la contigüité de nos deux corps dans cette cavité étriquée. La proximité de son visage, à quelques centimètres à peine du mien, affole mes sens comme à chaque fois que nous nous frôlons sur le pont de la Damnée. Maintenant qu'il le dit, il est vrai que ses bras dégagent assez de chaleur pour réchauffer deux personnes au moins. Machinalement, la gêne me fait baisser les yeux. Des gouttes ont laissé la trace de leurs passages en sillons humides le long de son cou. En les observant, je me surprends presque à jalouser l'eau, de goûter au grain de sa peau... Mais qu'est-ce que je dis ? Est-ce que je suis en train de penser tout haut ?! Le sourire esquissé par Clifton me fait violemment retomber sur terre.

- Tiens, là-bas !, s'exclame-t-il en pointant la pénombre du doigt. Tu la vois ?

Je plisse les yeux afin d'acclimater ma vue à l'obscurité. Sur le tapis d'herbe fraîche, bientôt aussi noir que le ciel, se détachent de petites fleurs violettes.

- Elles sont... phosphorescentes ?, me demandé-je à voix haute.

- Exact ! C'est une espèce de Belladone qu'on trouve qu'ici. C'est dingue, non ?

Je suis assez amusée de voir le cruel Capitaine Clifton Yeraz s'émerveiller devant une fleur aux reflets chatoyants. Me concernant, je n'en connais que très peu sur la botanique. L'attrait pour les biosciences est un héritage laissé par notre mère dont seule ma petite sœur semble avoir profité. Je bénéficie quant à moi de la sensibilité au combat léguée par mon père - aussi mon penchant pour les armes ne me laisse-t-il pas indifférente devant ces teintes violacées qui me rappellent celles qui coloraient la lance de Kishi, quelques heures plus tôt.

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