03 | Le Monde d'Avant - seconde partie

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— Bonjour, petite ! me lança une femme toute mince à la chevelure rousse et aux taches de rousseur en grand nombre. Qu'est-c'que j'peux faire pour toi ?

Elle avait une voix étrangement rauque et une peau très pâle, presque blanche. Tout l'inverse de moi et de ma carnation foncée, qui me valait souvent des remarques pouvant être qualifiées de xénophobes et très révélatrices du fait que la part survivante de l'humanité était loin d'être la plus futée et renseignée.

— J'ai entendu dire que vous aviez des chambres... bredouillai-je timidement.

— Exact, on en a cinq de disponible, deux places chacune. T'en veux une ?

Je hochai la tête en lui fourrant mes faux papiers, faits main il y a de cela deux mois, sous le nez dans le but d'avoir l'air plus sérieuse.

— Oh, vous pouvez ranger ça, j'fais confiance aux gens, moi, j'suis pas flic, railla-t-elle avec un sourire communicatif. J'vous réserve la première chambre, elle est disponible. Combien de nuits ?

— Pour l'instant une, s'il vous plaît. Je n'ai pas beaucoup d'argent, m'expliquai-je avec un air désolé. Je me débrouillerai pour la suite.

La barmaid me toisa d'un air indéchiffrable. Ses sourcils étaient relevés et ses lèvres épaisses formaient une moue à mi-chemin entre la grimace et l'amusement. Elle secoua la tête.

— C'est pas grave, petite. J'te poserai pas de questions sur qui tu es, d'où tu viens et ce que tu fiches ici. Encore une fois, j'suis pas flic, ton histoire te regarde. Alors, une nuit ? Parfait. J'note ça à quel nom ?

J'hésitai quelques instants.

— Cassiopée... Cassiopée.

— Et ton nom de famille ? C'te mention est obligatoire.

— ... Durand ?

J'avais pris le premier nom qui m'était passé par la tête. Le nom d'une gamine de mon village que je détestais. Un nom assez courant, et qui ne pourrait en aucun cas me porter préjudice si des recherches étaient lancées contre moi. Mais après tout, je ne me faisais pas trop de souci. Ma famille d'adoption devait être bien contente d'être débarrassée de moi et ne devrait pas chercher, à priori, à me retrouver. La jeune femme hocha la tête en me tendant une petite clé.

— Voilà pour toi. Tu me la rendras demain matin. Ça f'ra cinquante pièces s'te plaît.

Je lui tendis un billet correspondant à la somme demandée puis la remerciai. Elle me proposa une table, à laquelle je m'assis volontiers pendant qu'elle me tendait un verre de jus de fruits.

— Offert par la maison, me fit-elle d'un air enjoué alors que je regardais la pièce plus en détail.

Dans un espace d'une cent-vingtaine de mètres carrés, de nombreuses tables rondes en bois trônaient, et de nombreux habitués buvaient des mini-bouteilles de vodka au goulot, en riant de manière étrangement discrète pour leur allure de colosse. Des parents avec des enfants en bas-âge discutaient d'un air très sérieux, deux jeunes filles se tenaient la main dans un coin de la pièce en jetant des regards anxieux autour d'elles à intervalles réguliers – je m'attardai sur la plus grande des deux, une brune aux vêtements amples et au port de tête grandiloquent –, et un groupe d'amis dont la moyenne d'âge devait se situer à seize ans avait collé trois pupitres ensemble pour prendre le petit-déjeuner. Le public de cette auberge semblait très varié, très disparate. Mon regard balaya l'ensemble des consommateurs : trois fillettes d'environ onze ans repartaient avec des crêpes à la pâte à tartiner chocolatée, un garçon affublé d'une chemise à carreaux trop grande pour lui détournait le regard et rentrait dans la réserve du restaurant – je supposai sans trop y prêter attention que ce devait être le fils de la barmaid –, un vieil homme à l'air hautain et au nez retroussé époussetait sa veste, une femme trentenaire en cloque riait avec ses amies.

La course des étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant