Je l'attrapai par le poignet avant qu'il ne s'éloigne et il se dégagea. Assez calmement pour ne pas avoir l'air contrarié par ce geste, assez brutalement pour que je le remarque.
— Tu sais où est Georges ? le questionnai-je, embêtée à l'idée d'avoir pu être intrusive. Lou m'a dit que c'était son anniversaire, j'aimerais lui offrir un livre. Tu pourras le lui dire, pour qu'il ne parte pas quand je reviendrai ?
— Il est parti dormir il y a quelques minutes. Je suis désolé. Tu pourras le transmettre à son père, peut-être ?
— Je lui donnerai demain. Merci quand même.
J'adressai un sourire à mon ami, qui arborait à présent une expression navrée.
— Merci, Élios. Je ne te retiens pas plus longtemps.
— Aucun problème ; j'espère que tu aimes bien la fête. Tu peux aller prendre un verre de jus de fruits au buffet, si tu veux.
— Du jus de fruits ? C'est jour de fête, dis-moi !
— Eh oui ! me cria-t-il, enthousiaste, en s'éloignant pour aller rejoindre quelqu'un – Aries, à tous les coups.
Je me retournai à mon tour : il fallait maintenant que je retrouve Lou. Mais avant cela, j'allais profiter de la proposition généreuse d'Élios : ce n'était pas tous les jours qu'on avait l'occasion d'avoir ce genre de boisson. On en trouvait parfois dans les bars, comme le jour où j'avais rencontré la mère d'Aries, mais c'était toujours extrêmement coûteux. La Guilde des Bannis avait décidé de ne pas lésiner sur les moyens de manifester sa joie. Cette opération de distribution de poèmes était ambitieuse, et nous l'avions menée à bien, sans aucun problème.
Sans vraiment le conscientiser, un sourire étira mes lèvres, et j'eus le sentiment que cette euphorie collective durerait à jamais ; je souhaitai durant une fraction de seconde que le temps s'arrête, et rester à danser, à ne plus voir que cette beauté du monde. Je retrouvai Lou, qui, entre-temps, s'était assis·e sur l'un des divans poussés contre le mur, un verre d'eau à la main. Le temps que je lae rejoigne, une nouvelle musique avait commencé, plus calme, plus douce que les précédentes. Je ne la connaissais pas. Cela ressemblait à une chanson d'amour. Lou avait le regard vissé sur un point à côté de la masse de gens qui dansait – des slows, maintenant –, elle fixait probablement la Colombe.
— Tu ne vas pas l'inviter ?
Iel secoua la tête, les joues teintées de rouge de part en part.
— J'ose pas vraiment. J'aimerais bien danser, mais...
— Allez, viens avec moi.
Sans lui laisser le temps d'achever sa phrase ou de tergiverser davantage, je lui pris son verre pour le déposer sur le meuble le plus proche et lae tirai au centre de la pièce. Lou avait l'air nerveux·euse, et je posai mes mains sur ses épaules frêles en nous balançant d'un pied sur l'autre.
— Tu connais cette musique ?
— Oui, c'est un enregistrement assez rare que la Guilde a là, la majorité des copies de cette musique a disparu. Ça s'appelle Mystery of Love, je crois.
— Joli nom, acquiesçai-je alors que Lou déposait maladroitement ses paumes sur ma taille. L'amour est un mystère. Il y en a tellement de sortes, et chacune de ces sortes est complexe.
Lou eut un petit rire.
— Cassiopée, ça t'arrive souvent de philosopher comme ça ?
Je ris à mon tour, prenant conscience du ton solennel que j'avais pris pour énoncer ces propos.
— Parfois. J'ai passé un temps monstre à me questionner et à cheminer sur les labyrinthes interminables que sont l'essence des sentiments. Chacun et chacune vit l'amour différemment, ne serait-ce que l'amour amoureux : toi, tu flippes à l'idée de te dévoiler. D'être vulnérable. Lou, n'oublies pas que tu n'as qu'une vie, et qu'elle est trop courte pour que tu perdes ton temps à te prendre la tête sur cette question. Au pire des cas, quoi ? Tu ne vivras pas d'histoire d'amour avec la Colombe ? Je suis persuadée que même si ça devenait le scénario présent, vous resteriez amies, vous resteriez proches.
— Je ne sais pas, soupira-t-iel en haussant les épaules. J'ai peur de m'embourber dans une histoire toujours plus compliquée.
Je secouai la tête, lui désignant du regard tous les gens encore présents dans la salle : de tous âges, de tous styles vestimentaires, de toute attitude. Je m'arrêtai quelques secondes sur Aries et Élios, collés l'un à l'autre – enlacés, même – en train de danser, un immense sourire béat aux lèvres. Si ces deux-là devaient ne pas se voir plus d'une journée, ils dépériraient à coup sûr. Je ne les avais pas souvent vus seuls depuis que j'étais arrivée ici.
— Arrête de te prendre la tête, Lou. Arrête d'écouter ce que te dicte ta raison, et fais ce que tu as envie de faire. D'accord ?
La musique prit fin avant de céder sa place à une autre, dans un style rock bien énervé. J'attendis que Lou opine du chef avant de lae lâcher.
— T'as raison, Cassiopée. Je lui parlerai plus tard. Demain, sans doute. Nous devrions avoir du temps de repos, de toute façon.
Il y eut quelques secondes de battements où le temps retenait son souffle, ou peut-être que c'était moi, je ne sais plus vraiment. Un élan de détermination semblait avoir pris possession du corps de mon ami·e, car iel se redressa, gagnant au passage une bonne demi-dizaine de centimètres. Le sucre courait dans ses veines, et son énergie était contagieuse. Je m'interrogeai : quelle sensation cela faisait-il d'être amoureux de quelqu'un ? Les gens amoureux étaient tellement beaux. C'étaient les plus fragiles de tous, mais ils se sentaient invincibles. Ce paradoxe paraissait aussi grandiose que grisant à observer.
— Merci, finit Lou en m'enlaçant aussi fort qu'iel le pouvait, enfouissant son visage dans le creux de mon épaule.
Iel semblait épuisé·e, et après que je l'eus salué·e, iel tourna les talons pour se diriger vers notre chambre. Iel avait besoin de sommeil.
☆☆☆
— Ça va ?
Je sursautai et me levai brusquement.
— Oh, tu m'as fait peur. Oui, merci.
J'offris un sourire fatigué à la Colombe, qui m'avait tout l'air de sortir d'un de ces films américains du Monde d'Avant. Elle portait une longue robe aux manches bouffantes, et son collant noir avait été recousu au niveau des genoux. Elle s'installa à côté de moi, s'allongeant sur la couverture que j'avais étendue sur le sol dallé de l'une des terrasses du bâtiment. Cela faisait une bonne demi-heure que j'observais les étoiles, profitant du silence, mais la voix de la Colombe qui emplit mes oreilles n'était en aucun cas désagréable. Elle me servit une longue litanie sur l'avenir, elle était mi-soleil, mi-pluie ; mi-colère, mi-bonheur. Je la suivis dans son discours, et nous continuâmes à parler longtemps, minuit approchait à grands pas.
— J'espère simplement que celleux qui rendent ce monde laid seront chassé·e·s, et qu'un jour justice sera faite : nous vivrons enfin dans un monde juste.
Il faisait nuit, mais elle rayonnait, et j'eus un grand sourire en constatant que je me retrouvais dans ses paroles, dans son combat. Le cœur de Lou avait décidément choisi la bonne personne, et j'eus une pensée pour ellui en m'imaginant ce à quoi pourrait bien ressembler leur histoire d'amour.
Les conversations allaient bon train, et d'autres parlaient déjà d'amour sans vraiment l'assumer, en ce moment même. Même si je ne comprenais pas ce sentiment, je le trouvais terriblement beau.
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La course des étoiles
Ciencia Ficción𝗜𝗟𝗦 𝗘́𝗧𝗔𝗜𝗘𝗡𝗧 cinq. Cinq âmes rêveuses, égarées dans un monde où trop de choses n'allaient plus. Cela faisait maintenant vingt-six ans que la guerre était finie et que le peuple d'Eques était dirigé d'une main de fer par un dictateur aussi...