09 | Bienvenue dans la Guilde des Bannis - deuxième partie

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Mais tous les individus ne l'étaient probablement pas. Le simple fait qu'il existe des gens aux idéaux révolutionnaires au sein de cette société était déjà un miracle en soi. Depuis toujours, je me focalisais uniquement sur le négatif : normal, on ne me bombardait que de cela ! Mais maintenant, j'apprenais à ouvrir les yeux sur les petits riens invisibles qui aidaient à améliorer le quotidien sans en faire de grosses nouvelles. La gentillesse est humble, voilà tout, me répétai-je alors que nous arrivions au bout du long couloir aux portes closes. Lou s'arrêta et se retourna vers moi, un sourire aux lèvres. Iel semblait tenter de lire à travers moi au vu de la façon qu'iel avait de me transpercer avec son regard à la couleur de l'intensité. Élios me tira le bras, et, s'assurant qu'il avait mon attention, opina du chef.

— On va te faire visiter les locaux d'abord, d'accord ? Comme nous te l'avons dit plus tôt, nous comptons une grosse quarantaine de membres, et, comme pour la Colombe, ils tiennent tous à faire connaissance avec toi. Nous sommes un peu une grande famille, tu sais. Alors faisons les choses dans l'ordre, ça nous fera gagner du temps.

J'avais compris sa logique mais m'étais arrêtée au milieu de ses explications. Je relevai la tête vers lui, les sourcils légèrement froncés. De ma voix rauque, je murmurai :

— La Colombe ? Ce n'est... pas un nom, ça.

— Oui, la Colombe une de nos membres, m'expliqua Aries en ouvrant la porte avant de nous faire signe de continuer dans le couloir droit – on entendait la rumeur et les discussions du reste du groupe dans une des salles de celui d'en face – d'un geste vif de la main gauche. Elle a réussi à nous trouver je-ne-sais-comment et a toqué à notre porte un beau matin. Elle était sale, blessée et épuisée, alors on l'a soignée et isolée, puis on l'a interrogée. Elle fait désormais pleinement partie de la Guilde, c'est l'un de nos membres les plus engagés, je dirais. Elle nous a dit qu'elle avait grandi en prison car sa mère, après les dires des gardes, s'y était faite emprisonner avant sa naissance. Quand elle est morte, la Colombe n'avait qu'une poignée de printemps derrière elle, et a continué à grandir là-bas. Elle nous a rapporté s'être évadée il y a un an maintenant, je crois ? Enfin, elle n'avait pas d'existence civile ni de nom, alors nous lui en avons offert un.

J'écoutais le baratin du jeune homme, surprise par l'exactitude de ses propos. À côté de moi, Lou avait baissé les yeux et un sourire en coin semblait avoir été gravé sur son faciès anguleux ; je ne m'y attardai pas et reportai mon attention sur le chef de la Guilde qui ouvrait la première porte et me montrait la pièce qui se cachait derrière : c'était un grand salon. De nombreux fauteuils et canapés y avaient été entassés, si bien qu'il semblait difficile de se déplacer, et sur une table fissurée était posée une petite balle de caoutchouc. Il y avait un boîtier qui était, selon les dires de mes guides, un mécanisme pour masquer une grande bibliothèque que l'on ouvrait quand on avait des heures de repos devant soi. Une grande cheminée de pierre trônait également sur le bas d'une colonne large d'un bon mètre et demi.

— On n'y fait jamais de feu, même au plus profond de l'hiver, m'expliqua Élios avec une trace de regret. On ne tient pas à laisser échapper de la fumée et révéler notre position bêtement. Parfois, on s'gèle sévèrement, mais on fait notre maximum pour garder la chaleur : dans les trois pièces suivantes se trouvent nos habits et couvertures : il en faut pour quasiment cinquante personnes, j'te laisse imaginer les stocks qu'on a réussi à amasser après plusieurs années d'activité !

Il prit une pause pour respirer.

— Oh, bien évidemment, je t'arrête, me dit-il alors que j'ouvrais la bouche pour lui poser une question qui me paraissait évidente. Nous sommes minimalistes, par ici, on ne peut pas se permettre d'emporter des centaines et des centaines de kilos d'affaires si on doit déménager dans l'urgence, nous ne possédons pas d'énormes parures, comme les riches bourgeois des centres-villes. Mais j'espère que le confort que nous t'offrons dans notre refuge te conviendra, aussi rustique soit-il.

Je lui adressai un sourire forcé, incertaine du ton de ses explications. Se moquait-il de moi ou était-il parfaitement sincère ? Je choisis de garder le silence pendant qu'il me montrait les deux autres pièces restantes dans cette aile du bâtiment.

— Ici, nous avons la cuisine, m'indiqua-t-il en me montrant une porte. Là-dedans, et ici aussi – il m'indiqua celle d'en face –, ce sont les seuls endroits du bâtiment où nous avons l'eau courante. C'est une installation illégale, tu peux t'en douter : nous avons cinq salles de bain en tout, et c'est deux réservoirs comme celui-ci par jour pour une douche, pas plus. Tu sais, on ne te l'a sûrement jamais appris à l'école, mais les catastrophes naturelles qui ont détruit la terre ont eu lieu en même temps qu'une guerre mondiale. Tu sais pourquoi elle a eu lieu, cette guerre ?

Je frémis devant son air tout à coup sérieux : Élios avait l'air catégorique.

— Pour l'eau. Pour l'eau, Cassiopée. Les occidentaux ayant épuisé toutes les ressources potables et utilisables, il y a eu une guerre civile pour l'eau, sur toute la planète. Chaque été, c'était la même chose, puis en automne, il n'y avait que des crues qui balayaient presque tout sur leur passage. Et aujourd'hui, même si le gouvernement a repris le contrôle des points d'eau, on en manque. Cruellement. Et c'est une denrée qui ne tombe pas du ciel – façon de parler – et on se doit de l'économiser. Compris ? C'est une règle sur laquelle nous sommes intransigeants.

Je hochai la tête, et, devant son air tendu, je lui montrai mon approbation avec des mots : oui, d'accord, très bien, je ferai attention, compte sur moi, je ne causerai pas de problèmes, c'est promis. Dans les minutes qui suivirent, j'appris que les deux couloirs d'en face cachaient une vingtaine de chambres, que la mienne était celle estampillée « 7 », et que je la partagerais avec Lou. J'avais de la chance, me dit cet·te dernier·ère, la majorité des membres se retrouvent dans des dortoirs à trois. Aries m'avais, selon ses dires, pris mes affaires le soir où il m'avait attaquée, aussi mon sac m'attendait dans la chambre, complet.

— Si un jour, ou plutôt une nuit, tu as besoin de me trouver, avança Élios, je partage le dortoir un avec Aries. Et crois-moi, j'espère que tu n'auras aucune raison de venir nous réveiller en pleine nuit.

Je hochai encore une fois la tête, comme une petite enfant à laquelle on présente un monde fantastique en lui balançant des milliards d'infos et de codes à la seconde sans lui laisser le temps de tout digérer, de tout assimiler, de tout comprendre. Le chef de la Guilde nous indiqua la sortie du couloir et, avant de s'engager dans celui d'où provenait le bruit des conversations des autres membres, se tourna vers moi, théâtral, comme pour savourer le moment.

— Roulement de tambour, m'annonça-t-il alors que Lou roulait des yeux. Es-tu prête à rencontrer tes nouveaux collègues, Cassiopée ?

La course des étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant