— Pardon ?
Pardon est un nom commun masculin provenant du verbe transitif direct pardonner, signifiant tenir une offense pour nulle. Ce mot peut être prononcé d'un millier de façons différentes. On peut l'utiliser dans l'expression « donner son pardon », qui est donc un synonyme de « pardonner », comme je le disais plus tôt. Dans mon cas, il venait de franchir la barrière de mes lèvres comme équivalent de « excuse-moi, je n'ai pas bien compris ou entendu, peux-tu répéter ? ». Mais même employé dans ce sens précis, il pouvait être énoncé de plusieurs manières complètement distinctes. La plus courante reste celle prononcée avec un sourcil levé, avec un embryon de sourire pour signifier à son interlocuteur – ou interlocutrice, après tout, pourquoi le neutre devrait-il être le masculin ? Ceci n'a aucun sens – que l'on n'a pas bien saisi les mots prononcés, ou leur sens. On peut aussi laisser échapper un « pardon » d'une petite voix, presque murmurée, lorsqu'on est effrayé – ou effrayée, comme je le disais, il faut cesser avec cette invisibilisation constante du féminin – et qu'une personne nous menace, comme pour lui demander de confirmer ses mots, puisqu'on ne les croit pas. Un « pardon ? » plein de dédain, les deux sourcils levés, les lèvres formant une moue désapprobatrice ou ennuyée, ou encore un « pardon ? » prononcé de manière à traduire un étonnement de manière très exagérée en faisant monter sa voix dans des tons aigus à en faire mal aux oreilles des chiens. Ce dernier « pardon ? » peut aussi signifier qu'on sait pertinemment que la personne qui s'adresse à nous se paye ouvertement notre tête, et qu'elle n'a pas intérêt à continuer si elle veut qu'on continue à l'écouter nous débiter sa litanie de bobards.
Et pour être très honnête, face à Élios, Aries et Lou, c'était cette dernière façon que j'avais utilisée. Le seul problème, c'est qu'ayant les mains attachées au-dessus de ma tête avec à peine assez d'espace pour pouvoir plier les coudes, l'expression hypocrite et pleine d'ironie que j'avais espéré faire apparaître sur mon faciès était tout sauf crédible. Je faisais semblant de rire : si cet idiot disait vrai, quel besoin avait Aries de me faire croire qu'il n'avait entendu parler de cette Guilde que très brièvement, puis me neutraliser pour m'emmener dans leur planque bringuebalante ?
— Aries, est-ce que ta maman sait quel individu dangereux tu es ? lançai-je d'une voix aiguë tronquée à l'adresse du garçon.
Je vis sa mâchoire tressaillir avant qu'il n'ouvre la bouche. Ses yeux rouges vinrent se planter dans les miens. Il me fusilla du regard comme si je n'étais qu'une pauvre idiote et qu'il s'était attendu à ce que je me comporte en prisonnière conciliante et compréhensive. C'était bien mal me connaître, mais également très stupide de sa part.
— Cassiopée, tu ne nous crois pas, hein ?
Je fis semblant d'être étonnée, voire choquée par sa question rhétorique. J'avais mal aux épaules et mon ironie provocatrice fut noyée et masquée par une grimace.
— C'est étonnant, non ? fis-je exagérément.
Le sarcasme m'avait toujours servi à me fourrer dans le pétrin, mais aujourd'hui, il me semblait plus que nécessaire pour ne pas avoir à montrer ma peur. Que me voulaient-ils, au juste ? Leur attitude n'avait strictement aucun sens.
— Qu'est-ce que tu ne comprends pas ? me murmura Lou d'une voix qui se voulait conciliante.
Iel ne semblait pas se moquer de moi, et son expression diplomate coupa étonnamment court à ma colère. Sans doute était-iel plus patient·e que la forte tête qu'était Élios.
— Pour commencer, quel était le besoin qu'avait Aries de me mentir sur vous, puis de m'enlever pour m'emmener dans cette stupide pièce ? Ai-je l'air si menaçante que ça ?
Puisque je commençai à me convaincre de la vérité de leurs dires lorsqu'ils m'affirmaient être membres de la Guilde des Bannis, j'optai pour la contenance de ma colère en prononçant ces mots. L'inverse aurait visiblement été contre-productif. De ce que j'avais pu comprendre de l'attitude des deux garçons dans cette pièce, il était attendu de moi que je cesse de causer des problèmes malgré le fait que le traitement qui m'avait été réservé était inutile et exagéré. Élios soupira, il avait l'air moins hautain que tout à l'heure. Je le toisai de la tête aux pieds : il portait un bandage d'immobilisation autour du poignet droit et ses ongles peints de bleu marine étaient rongés jusqu'au sang. Sans doute était-il d'un naturel stressé. Peut-être le cachait-il sous une autorité sévère ? Oui, ça devait être ça.
— Ce n'est pas la question, Cassiopée. C'est une simple mesure de précaution. Tu as beau avoir été un véritable moulin à parole sur tes intentions de révolte à mes côtés, je ne pouvais pas me permettre de te faire confiance complètement. Et si tu m'avais menti ? Si je t'ai neutralisée avant de t'emmener ici, c'était pour que tu ne voies pas le chemin. Si tu m'avais menti, tu aurais pu faire venir des soldats dans notre planque, et alors ç'aurait été un désastre. Mais tu ne mens pas, n'est-ce pas ? Je ne crois pas que tu mentes. Confirme-le, s'il te plaît. J'ai besoin – on a besoin – de le savoir.
Je secouai la tête.
— Si je t'ai autant parlé alors que je m'étais promis d'être méfiante après l'enfance que j'ai vécue, c'était parce que tu étais la première personne que je rencontrais qui était d'accord avec moi sur l'horreur qu'était la vie dans cette dictature. Je ne comptais pas être si transparente, mais... Aries, j'étais sincère. Si vous, vous ne me mentez pas et que vous faites bien partie de cette foutue Guilde, je veux vous aider.
Je voyais un voile d'hésitation dans les yeux du jeune homme. À côté de lui, Élios me toisait intensément, comme s'il me passait au rayon X pour tenter de percer à jour chacun de mes secrets les plus enfouis. Lou le regardait comme s'iel attendait son approbation pour me croire et me libérer de mes liens. Ce qu'il finit par faire en laissant apparaître du soulagement caché dans un petit sourire.
— Cassiopée, commença-t-il avec gravité. Promets-moi que tu dis la vérité.
Promets-moi ? Mais quel narcissisme ! Le chef de la Guilde semblait être le centre de son univers : en tous cas, Aries le fixait comme tel. Ses mains pâles s'accrochèrent à l'épaule de son ami, et je soupirai devant l'importance qu'il se donnait.
— Ce n'était pas assez clair ? Élios, Aries, Lou, depuis toute petite je sais qu'il y a un truc qui déconne dans notre monde, qu'une grande partie de l'espèce humaine est composée de sombres crétins et que tous nos droits fondamentaux sont bafoués. Depuis que j'ai appris la définition du mot révolution, c'est presque la seule idée qui habite mes pensées. Je suis sincère, je dis la vérité, si vous êtes un groupe de rebelles, je veux vous aider. Je sais faire plein de choses ! Écrire, faire des recherches, crocheter des serrures, me battre, courir, nager... je ne sais pas quoi ajouter de plus ! Bien sûr que je te promets que c'est la vérité ! C'est la vérité, insistai-je en appuyant sur chacun des mots qui franchissait la barrière de mes lèvres.
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La course des étoiles
Ciencia Ficción𝗜𝗟𝗦 𝗘́𝗧𝗔𝗜𝗘𝗡𝗧 cinq. Cinq âmes rêveuses, égarées dans un monde où trop de choses n'allaient plus. Cela faisait maintenant vingt-six ans que la guerre était finie et que le peuple d'Eques était dirigé d'une main de fer par un dictateur aussi...