Arrivés dans la grande salle circulaire, l'effervescence coutumière qui précède toujours les cessions d'Eos nous accueille de sa douce animation. Les élèves, déjà regroupés par section, patientent gaiement, leurs conversations emplissant la pièce d'un brouhaha aussi joyeux qu'étourdissant. Leur clameur s'estompe peu à peu, tandis qu'un à un, les mentors viennent récupérer leur groupe d'étudiants pour les guider dans leur classe réservée. Parfois, la curiosité me tiraille et je meurs d'envie de passer ces portes closes pour découvrir leurs espaces de travail et le contenu de leur apprentissage. Si je m'imagine un immense laboratoire pour la section Recherche et Développement, ainsi que pour la section Médicinale, ou encore une salle truffée d'ordinateurs et de machines à écrire vieillottes pour la section Journalisme, je me demande bien à quoi ressemblent les leçons de la section Politique ou celles de Droit. J'ai tenté d'interroger Jaz, mais de toute évidence, nous n'avons pas le droit d'échanger sur nos enseignements respectifs avec des membres d'une section différente. Le secret est de mise bien que je ne comprenne pas son utilité. Sérieusement, à quoi bon nous cacher que les élèves de la section Economie passent leur matinée à jouer au petit comptable ? Enfin, tel que je les visualise...
Bientôt, comme à l'accoutumée, seuls les militaires se trouvent encore présents dans le noyau d'Eos. Les minutes s'égrènent et ni mon père — notre nouvel instructeur depuis la mise au repos de Schuman qui pourrit Dieu sait où sur l'île — ni De Clermont ne font mine de se montrer. Seul Hartmann, les bras croisés sur son torse et appuyé à son sempiternel pilier de pierre sombre, se tient parmi nous. Une douce agitation nerveuse traverse les rangs de mes camarades, retranscrite par leurs murmures à peine audibles et leurs échanges de regards inquiets. La dernière fois que M. Le directeur s'est ainsi fait attendre, il nous a annoncé la création de son fight club personnel, soi-disant à des fins pédagogiques, mais le souvenir que je garde de mon premier combat me laisse un goût prononcé d'amertume. Je ne peux m'empêcher de craindre une nouvelle déclaration tout aussi douteuse, la boule au ventre. Sensible à la même remémoration que moi, Adam me donne un léger coup de coude pour me désigner notre entraineur.
— Détends-toi, me souffle-t-il tout bas, Hartmann n'a pas l'air plus contrarié que d'habitude, regarde. Quelle que soit l'annonce, elle ne doit pas être si terrible. Puis ton père ne soutiendrait pas un autre plan foireux de De Clermont. Or, si ton père et le coach s'y opposent, le directeur ne pas mettre en place ses idées tordues. Il lui faut la majorité. Il n'y a pas lieu de s'inquiéter, je suis sûr.
Suivant son geste de la main, j'étudie plus amplement les traits de notre instructeur. Les dents serrées, il darde un regard froid sur les étudiants, comme pour les dissuader de l'importuner. D'un naturel grincheux et bourru, effectivement, M.Hartmann a l'air dans son état normal, ce qui a quelque chose de rassurant. En revanche pour mon père... l'argument porte à controverse. S'il n'ira certainement pas jusqu'à maltraiter ses élèves, mon géniteur reste partisan d'un apprentissage à la dure, « au plus proche de la réalité » pour reprendre ses mots. Or, ce qui nous attend dehors, nous les élèves de la section militaire, n'aura sûrement rien de doux et paisible... Ainsi, l'enseignement qu'il nous prodigue s'en ressent. Machinalement, je me frictionne le coude où un hématome d'un bleu presque noir me tiraille à chacun de mes mouvements, la douleur se réveillant au souvenir d'un coup de pied magistral que m'a administré mon père pour me prouver que ma position était incorrecte. A la dure, c'est le moins qu'on puisse dire...
— On devrait peut-être aller interroger Hartmann ? proposé-je malgré tout.
Il me presse les épaules, comme une ébauche de massage en moins agréable.
— On sera vite fixé de toute façon, refuse-t-il sereinement. Et puis quand bien même il s'agirait encore là d'un des plans douteux dont De Clermont a le secret, on n'aura pas vraiment d'autre choix que de s'y plier... Malheureusement, tu es toujours sur la sellette pour ton comportement en dépit de tes résultats et j'ai bien peur qu'il en soit ainsi indéfiniment.
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L'Ecole des Neuf Muses (T2)
Teen FictionAprès avoir frôlé la mort avec Adam, Will a finalement décidé de rester aux Neuf Muses afin de rester auprès de ses amis en dépit de la menace qui pèse sur elle. Après la dernière révélation de leur ennemi, jamais Adam et Will ont été aussi proches...