Chapitre 14

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Dans une gerbe d'eau glacé, le catamaran fend la houle déchainée. Le vent qui s'engouffre dans les voiles fouette mon visage dans une caresse pourtant agréable, brûle mes poumons de sa fraicheur mordante, m'enivre de son odeur iodée, si délicieuse à mes narines. Grisée par la vitesse, cette sensation de voguer vers un horizon infini, je modifie légèrement mon cap afin de nous rapprocher de l'ultime bouée avant la ligne d'arrivée. Il nous suffit de la contourner, puis nous laisser pousser par un vent arrière dans la dernière ligne droite vers la victoire.

— Will ! s'alarme Elizabeth, postée à l'avant de l'embarcation, euphorique. Ils nous rattrapent !

Un bref regard vers l'arrière me confirme les propos de ma partenaire. Enfin... De mon point de vue, il ne s'agit plus de nous « rattraper » mais bien de nous « dépasser » parce qu'ils sont déjà sur nous !

— Ciao les filles ! nous nargue Kristof Wosinski, l'habituel coéquipier de Betty. Les perdantes s'occuperont des combis et serviettes des gagnants !

La manière dont il insiste sur le féminin ne laisse aucun doute sur sa certitude de gagner. Heureusement, je le connais assez bien pour savoir qu'il chambre sans arrière-pensée, par pure plaisanterie. Néanmoins, ça ne veut pas dire que je ne vais pas lutter pour notre première place !

— Je te préviens, ma serviette se lave à la main ! rétorqué-je sur le même ton tandis que leur catamaran s'éloigne inexorablement de nous.

Toutefois, son signe de la main, l'air de dire « cause toujours tu m'intéresse », m'apprend qu'il m'a bien entendu. Il vogue au petit largue, presque perpendiculairement à la bouée. Leur vitesse surpasse largement la nôtre, ce qui nous laisse pour seule solution que de couper le plus droit possible vers le point flottant.

— Betty, resserre la voile, on passe au plus près ! intimé-je.

— Quoi ?! mais t'es malade ! s'oppose-t-elle. C'est hyper compliqué comme manœuvre, si on se retrouve vent debout, c'est par tout le monde qu'on se fera doubler !

— Fais-moi confiance !

Elle me fixe longuement pour mesurer mon niveau d'assurance. Et dire qu'Adam aurait déjà obtempéré plutôt que de nous faire perdre davantage de distance sur nos adversaires... Mais il n'avait pas la tête à prendre la mer.

Son étude terminée, elle cède :

— OK mais tu passes devant, je prends la barre !

Nous échangeons nos places et, sans attendre, je borde nos voiles quasiment dans l'axe du catamaran tandis que Campbell nous oriente vers la bouée. L'embarcation se met immédiatement à gîter, nous obligeant à nous positionner sur la droite afin de contrebalancer la poussée perpendiculaire du vent, et nous ralentissons. Cependant, notre trajectoire presque droite sur la bouée devrait nous permettre de la passer avant le binôme de Wosinski.

— On s'éloigne du cap, souligné-je.

La barreuse corrige aussitôt notre direction. Nous nous mettons à danser avec les vagues, louvoyant autour de leur crête, attentives aux caprices de la houle et du vent. Bientôt, une vibration régulière prend possession de notre catamaran, se propageant jusque dans nos corps. Betty et moi échangeons un sourire exalté.

— Il chante ! s'extasie-t-elle. On est trop fortes !

Un éclat de rire euphorique nous parcourt tandis que nous maintenons notre cap vers la bouée, à quelques dizaines de mètres de Wosinski qui nous fixe, béat, contourner le flotteur dans un empannage parfait puis foncer vers la plage, poussées par un puissant vent arrière.

L'Ecole des Neuf Muses (T2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant