Chapitre 26

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Je ne ralentis l'allure qu'une fois sur le parvis du bâtiment scolaire. La pluie s'est arrêtée de tomber, mais l'air est encore saturé d'humidité. L'odeur de la terre mouillée me chatouille délicieusement le nez et quelques rayons de soleil timides se réverbèrent dans les gouttes qui constellent chaque brin d'herbe. Cela suffit aussitôt à légèrement apaiser mes émotions tumultueuses. La colère se dissipe, ne laissant qu'un étrange sentiment de tristesse presque éteint et un vif abattement. Le pire, c'est que mes pensées reprennent déjà leurs sombres interrogations sans mon consentement, se prenant déjà à calculer les tenants et les aboutissants de toute cette situation quand je ne désire qu'un anesthésiant radical pour m'offrir un peu de répit... La perspective d'une balade en forêt me tiraille l'espace d'un instant, mais ma douleur à la hanche se réveille à peine tenté-je de descendre la flopée de marches devant l'école. Sans compter que puisque j'ai quitté l'infirmerie, la tolérance d'une absence en cours n'aura pas lieu d'être et que focaliser mon attention sur un problème de maths ou sur l'interprétation d'un poème de Dante ou Pétrarque devrait être le meilleur moyen pour arrêter de penser. En soupirant, je prends le chemin du dortoir afin de changer de vêtements et récupérer mes affaires de cours. De toute façon, le cours d'économie est déjà largement entamé, je n'y serai pas acceptée.

Vingt minutes plus tard, je m'installe à mon bureau pile à l'heure pour mon cours d'italien. Avec son léger retard coutumier, Mathias me rejoint en manquant faire voler les feuilles que distribue M.Giacommeti qui lève les yeux au ciel, habitué à ce petit manège. Tant que la leçon n'a pas commencé, le professeur tient rarement rigueur des retardataires, même si, dans le cas de Mathias, c'est quasiment systématique. Ce dernier lâche lourdement son sac sur son bureau en m'adressant un sourire resplendissant.

- Déjà de nouveau opérationnelle ? chuchote-t-il. T'es faite en titane ! Et dire que je me suis forcé à venir pour te prendre le cours alors que j'étais avec Domi...

Je me mords les lèvres pour retenir un sourire devant sa déception manifeste.

- Désolée d'avoir contrarié tes plans, mais c'est gentil de l'attention !

Il hausse les épaules, désinvolte.

- J'aime bien être avec toi aussi, déclare-t-il sans ambages, et Karen a tenu à me rappeler qu'en dépit de mon travail « exceptionnel » avec l'équipe informatique, je ne dois pas oublier que je reste un étudiant des Neuf Muses. Par conséquent, mon assiduité est de mise.

Je ressens toute la fierté qu'il éprouve devant la reconnaissance que suscitent ses compétences. Il n'est plus seulement un « geek qui bidouille bien », on le traite à présent avec le respect et la considération qu'il mérite et cela le motive encore davantage à se surpasser. S'il pouvait, il n'hésiterait pas à totalement laisser tomber sa scolarité pour rester travailler en salle 108. Cela me rappelle que je lui dois peut-être quelques félicitations.

- D'ailleurs, bravo pour ta découverte ! Finalement, en deux minutes, tu as quand même eu le temps de récupérer des trucs intéressants !

- On continue de décrypter le reste, m'apprend-il, mais pour le moment, rien d'autre ne semble utile. Une fois que c'est décodé, on transmet tout à Coralie qui trie avant de relayer les quelques infos dignes d'attention. Autant te dire que cette liste est une rareté.

Bien que son discours se montre encore défaitiste, je devine au sourire qu'il ne parvient à masquer que mon compliment l'a touché.

- Et qu'a dit Domitille à propos de ton exploit ?

Il se frotte l'arrière de la tête, un brin gêné.

- Du très bon et du très mauvais, ce qui fait une moyenne assez neutre, au final. D'un côté, elle a reconnu l'idée comme ingénieuse et ambitieuse, et a admis qu'il fallait du talent pour y être parvenu. De l'autre, puisque je me suis fait prendre, la fiabilité de ce que j'ai trouvé perd en valeur. Ils vont partir du principe qu'on sait et changer leur plan. Et elle m'a engueulé pendant bien un quart d'heure pour me l'être joué solo, que si je leur avais parlé de mon projet, on s'y serait mis tous ensemble, ce qui aurait sûrement évité que je me fasse repérer, ou au moins, donné plus de temps.

L'Ecole des Neuf Muses (T2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant