Chapitre 32

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Penchée sur une page de partition indéniablement vide, je me prends la tête entre les mains. Je pensais que la musique m'aiderait à me ranimer un peu, à raviver une petite étincelle dans mon étrange torpeur, mais il faut croire qu'il n'y a plus rien du tout en moi, plus même de musique. Mon violon, confortablement posé dans mon fauteuil club me fixe d'un silence implacable. J'ai bien essayé de jouer des morceaux parfaitement maitrisés, seul un son creux et terne s'est déversé de l'instrument, mes doigts ne sont plus capables de donner vie aux notes. Si j'étais superstitieuse, j'accuserais certainement le karma. Je ne mérite pas qu'on me laisse la seule chose à même de m'apaiser, de me donner la force de me retrouver. Après avoir failli à mes valeurs, voilà que la musique, cette part inhérente à moi-même, me répudie à son tour, me devient totalement hermétique.

— Wiiiiill !

Le cri désespéré résonne dans ma chambre en même temps que ma porte s'ouvre avec élan avant de se fracasser contre ma bibliothèque qui dégringole. Sidérée, je fixe la chevelure violet rose de Charline en train d'étudier l'étendue des dégâts.

— Oups... lâche-t-elle en m'offrant un sourire contrit.

Je reste interdite un instant, fixant le petit amoncellement de livres parsemé d'origamis éventrés. Devant mon étrange immobilité, Charline se confond en excuse en tentant de tout remettre en ordre précipitamment. Elle redresse les étagères avant de repositionner les livres au hasard. Avec un détachement éteint, je quitte ma chaise de bureau pour l'aider à tout ranger. Rapidement ne reste que le cimetière de papier sur mon parquet.

— Will, je suis tellement désolée, répète inlassablement mon amie dont la voix s'enraye. Laisse-moi faire, ça sera comme neuf !

Sauf que la plupart des formes qu'avaient sculptées Adam ont souffert de la chute ; certains ont été broyées entre deux livres, déchirées, écrasées ou froissées. Mes yeux se figent sur le champ d'origamis gisant. Le dernier en date, l'aigle du pardon, attire mon regard. Il a encore péri, aplati par le poids des ouvrages, tel une prémonition de ce qu'il adviendra de ma relation avec Adam...

— Ce n'est rien, affirmé-je platement. Les bouquins n'ont rien et le reste... ce n'est que du papier. On n'a qu'à les jeter, ce n'est pas bien grave.

Pourtant, bien qu'en disant cela, je les repose un à un sur l'étagère qui leur était consacrée. Charline continue de m'observer avec inquiétude tandis que je m'appuie contre mon lit, les genoux remontés devant moi. Après une hésitation, elle m'imite mais garde le silence, tout comme moi.

— Jaz a accepté de venir ce soir si tout le monde y allait, m'apprend-elle finalement.

Je soupire malgré moi.

— Et ils ont tous accepté ? m'enquiers-je bien que je devine déjà la réponse.

Elle acquiesce doucement.

— Il ne manque que toi... mais si j'en crois ton pyjama, tu n'as pas l'intention de venir ?

Je ne réponds pas tout de suite. Si j'écoutais seulement mon cœur, je resterais enfermée de ma chambre. Aucun de nous n'a vraiment la tête à s'amuser, nous ne faisons que tenter de conserver les apparences. Mais Karen m'a certifié que ça pourrait nous faire du bien et si Jaz est prête à y assister, alors ce n'est pas à moi de jouer les rabat-joies. Me motivant difficilement, je me redresse sans énergie.

— Ça commence dans combien de temps ?

— C'est une fête, Will, sourit la française. Y a pas d'heures pour arriver !

— Ok, ok, capitulé-je en enfilant simplement un chemisier blanc sur un jean sombre.

Ça ne sort pas du lot, mais ça fera l'affaire. Après une brève délibération, je tranche pour le confort de mes Converses bordeaux pour compléter le tout, libère mes cheveux d'une secousse de la tête avant d'attaquer l'étape la plus longue mais impérative : dissimuler mes signes de fatigue. Munie de mon anticerne, j'entame ma routine maquillage sans entrain.

L'Ecole des Neuf Muses (T2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant