L'Ecole des Neuf Muses (T2)

Chapitre 22

La main serrée autour de mon couteau factice, j'observe attentivement Adam qui me fait face. Transpirant et les muscles en tension, il attend mon offensive, la mâchoire crispée, le regard focalisé sur mon arme. Encore. Depuis le début de notre session d'entraînement, l'irritation et l'énervement d'Adam sont palpables, c'est à peine s'il m'a calculée avant de commencer l'échauffement, et à présent, sa frustration l'aveugle complètement, le faisant inlassablement répéter les mêmes erreurs : ne regarder que ma main armée, se tenir trop près... Il n'a pas réussi l'exercice une seule fois et même son frère perd patience devant ses tentatives infructueuses, et moi aussi. Malgré tout, je chasse mon agacement pour rester concentrée sur ma tâche : atteindre Adam. Si lui s'entraine à désarmer un agresseur muni d'un couteau – mouvement que je commence à bien maitriser –, je travaille l'étape d'après ; une fois le couteau récupéré, comment l'utiliser à mon avantage ?

- Adam, reprend Logan avec irritation, lâche ce couteau des yeux. Tu dois le garder en vue mais n'oublie pas que tu fais face à quelqu'un qui peut aussi frapper ailleurs. Le danger le plus grand, c'est ce couteau mais ça ne veut pas dire qu'on va t'attaquer de front avec. Les hommes d'Octavius ne sont pas de petits racketteurs de banlieue, ils préparent largement leurs mouvements et n'utilisent pas que leur couteau.

- Oui, oui, j'ai compris... assure le concerné, sans pour autant changer sa position.

Logan m'adresse un regard lourd de sens. Sans qu'il ne dise rien, je ressens pleinement le reproche sous-jacent : Adam n'est pas dans son état normal et notre refus d'en parler ne fait qu'aggraver les choses. Pourtant, je suis intimement convaincue que nos manigances n'ont rien à voir avec la contrariété de mon partenaire... Mais j'en ignore la cause.

- Oublie les consignes de l'exercice, décide finalement Logan. Puisque cette tête de linotte veut rien entendre, montre-lui...

Une carte blanche. Je resserre mes doigts autour du manche rugueux et assouplis mon poignet, l'excitation gagnant doucement chaque parcelle de mon corps. Depuis que Logan a pris la relève de Hartmann pour nos entrainements, nous avons régulièrement recours à cet exercice ; après avoir acquis une nouvelle technique, le bras droit de mon père s'assure que nous mobilisons toujours le reste de nos enseignements. Par conséquent, il nous laisse libre de choisir notre tactique. Une liberté agréable qui permet de choisir les styles de combats qu'on préfère mais aussi une véritable évaluation piège ; autant que faire se peut, nous devons diversifier les mouvements et les exécuter avec une précision chirurgicale, sous l'œil de lynx de notre instructeur.

Adam se tend davantage, et ses yeux quittent brièvement ma main armée pour m'étudier. Avec un brin de fierté, je souris en constatant qu'à présent, il me considère comme une adversaire digne de ce nom. Fini le temps où il cranait devant moi comme si je n'étais qu'une crevette gesticulante ; si je peine encore à complètement prendre le dessus (ce qui arrive très rarement, je l'accorde), je lui tiens bonne tête. Etrangement, mon sourire semble cultiver davantage sa colère, comme un affront personnel. Mais qu'est-ce qui lui prend décidément ?!

Loin de m'appesantir sur la question, je bondis, ma main droite en avant. Je feins un moulinet pour lui donner l'impression que je vais porter le coup par son flanc ; sans attendre, il part de son avant-bras. Son absence de discernement manque de me faire oublier la suite de mon mouvement, n'ayant jamais réellement envisagé que ma feinte fonctionne. Comment a-t-il pu se faire avoir aussi facilement ?! D'habitude, je dois toujours prévoir un plan B, C et D pour faire mouche ! Je me reprends aussitôt et lance mon pied derrière son genou. Ses yeux s'écarquillent sous la surprise lorsqu'il réalise son erreur de débutant. Au même moment, ma jambe le fauche et il s'écrase par terre. J'abats mon couteau sur son torse, ne le retenant qu'à quelques millimètres de son t-shirt. Il écarte les mains en signe de reddition tandis qu'autour de nous, des applaudissements retentissent, le reste de nos amis ayant observé notre combat. Mais ma victoire est tellement facile et anormale que je n'éprouve même pas de satisfaction.