L'Ecole des Neuf Muses (T2)

Chapitre 2

Quelques semaines auparavant...

Avachie sur ma table, j'écoute le professeur de management déblatérer inlassablement d'une oreille distraite. Voire, je ne l'écoute pas du tout, en réalité... Et l'ensemble de la classe semble plongé dans la même transe nébuleuse, dans ce vide intersidéral dans lequel le prof nous propulse à chaque cours. Il poursuit indéfiniment sa leçon sans même s'apercevoir que ses élèves ont complètement décroché face à son ton long et monocorde. Et plus les esprits se trouvent à des années-lumière de cette salle, plus mon professeur paraît souriant et enthousiaste. A croire qu'il s'abreuve de nos énergies, se repait de nos états proches de la profonde léthargie. Un bref coup d'œil à la pendule suffit à m'abattre définitivement. Comment le temps peut-il passer aussi lentement ? C'est inhumain. Pour couronner le tout, mon estomac commence à donner des signes d'agitation, affamé. Ça frise la torture...

Enfoncée tellement loin dans les limbes de l'ennui, je sursaute violemment quand une feuille de papier joliment pliée atterrit sur mon bureau. Mon mouvement de surprise m'attire les foudres du professeur alors j'esquisse un léger rictus navré. Et sans attendre, il reprend son interminable monologue... Que d'action, dis donc ! j'en ai encore des palpitations ! Mais heureuse de cette distraction, j'observe l'objet de cet intense moment. Habilement pliée, la page forme une délicate fleur de papier, semblable à celle d'un nénuphar. Je n'ai même pas besoin de me retourner pour deviner l'envoyeur ; il n'y a qu'Adam qui s'embête à me transmettre ses petits mots sous forme d'Origami... Le seul problème, c'est que je n'ose jamais les trifouiller en quête du message, de peur de les abîmer. Avec attention, j'étudie le papier à la recherche de la moindre trace de stylo. Je tourne donc la fleur toute de blanc sous tout côté, quand enfin, sous un pétale, j'aperçois les traits de son écriture. A contre-cœur, je relève le bout de papier.

« On s'entraîne à la clairière avant notre rdv ? »

Pour toute réponse, je me contente de lui adresser un hochement tête discret qu'il accueille d'un large sourire.

- M.Lombardo, le réprimande le professeur — décidément, il s'en passe des trucs dans son cours ce matin ! —, je suis ravi de voir que vous avez encore une âme de grand romantique, mais ma classe n'est pas le moment le plus approprié pour envoyer des fleurs en papier à votre belle et tendre.

Mes joues s'empourprent aussitôt, terriblement gênée par les propos de l'enseignant. Je tente vainement de masquer mon malaise en me cachant derrière ma tignasse rousse tandis qu'Adam, imperturbable, promet simplement que l'on ne l'y prendra plus, visiblement amusé par la cocasse situation. Quant à moi, je ne sais plus où me mettre. Comment fait-il pour rester aussi serein ? Toute à mon mystère, je n'écoute toujours pas davantage le prof retourner à sa leçon. Il me faut encore un instant pour oser relever la tête, certaine que mon teint a repris sa couleur habituel — soit très pâle avec quelques touches de bleu noirâtre sous les yeux... Je remarque alors que ma voisine de table se mord les lèvres, retenant visiblement un sourire amusé. La grande blonde un peu forte secoue la tête, résistant durement, quand je lui administre un léger coup de pied sous la table. Elle ne tient plus, un large sourire fend son visage.

— Alors ? minaude-t-elle, on s'envoie des fleurs maintenant... ?

Je lui lance un regard noir.

— J'en avais pas encore eu de comme ça, me défends-je. J'ai eu droit à un bateau, un avion, un oiseau, un Pikachu, un lapin et une grenouille, si tu veux tout savoir. La fleur, c'est juste parce qu'il ne l'avait pas encore fait. N'y vois pas là de démonstration ultra romantique ou-je-ne-sais-quoi.

Mais ma réplique est loin de la convaincre, en témoigne son sourcil moqueur.

— J'ai jamais reçu de petits mots en Origami, personnellement, constate-t-elle avec humour.