L'Ecole des Neuf Muses (T2)

Chapitre 34

Une vibration régulière et entêtante m'oblige à relever la tête du pelage blanc soyeux d'Hector. Le lapin, blotti dans le plus grand confort du plaid pelotonné étendu sur mes genoux, ronronnerait presque de bien-être sous mes caresses s'il était un chat plutôt qu'un lapin. Son oreille se dresse à l'affut du bruit dérangeant, sans esquisser autre mouvement, de peur d'être chassé de son cocon dorlotant. J'hésite un instant à me relever, ne serait-ce que pour éteindre l'appareil avant qu'il ne réveille Adam, encore endormi dans son lit, mais l'appareil s'interrompt de lui-même. Emmitouflée dans son fauteuil, j'observe mon coéquipier à peine s'agiter dans son sommeil de buche. Pas dit que le portable l'aurait réveillé... Pas plus que ma gymnastique non-conventionnelle pour m'extraire du lit – et de ses bras – une heure plus tôt n'a perturbé son repos. Ce mec ne dort pas, il comate. Et il doit lui rester pas loin d'une heure avant de devoir se lever, donc après avoir considérablement réduit sa nuit en l'empêchant de dormir, j'ai bien l'intention qu'il profite jusqu'à la dernière minute de son lit.

Seulement, son téléphone n'est visiblement pas sur la même longueur d'ondes que moi ; déversant les premières notes de la bande originale de James Bond dans toute sa puissance. Je me redresse aussitôt, contraignant Hector à quitter mes genoux dans la précipitation, pour me ruer sur l'engin de malheur mais Adam remue déjà. Moins d'une seconde plus tard, sa main se referme sur l'appareil qu'il décroche sans même regarder son écran.

- Oui, Lolo ? s'enquiert-il, la voix pâteuse de sommeil.

Lolo. Le thème de 007 pour son frère. Affligeant.

Figée à moins de deux pas de son lit, je n'entends pas la conversation. Adam tourne d'abord la tête vers le côté du lit où je dormais encore une heure plutôt puis ne me trouvant pas, se redresse d'un bond, soudain totalement éveillé, avant de m'apercevoir dans un soulagement.

- Elle est avec moi, déclare-t-il à son téléphone en me saluant silencieusement.

Je devine que son frère lui adresse un sermon à sa façon de lever les yeux au ciel avant de raccrocher.

- Alors... commence-t-il avec son sourire goguenard. Ton père va être super en colère. On lui a appris ce matin les... péripéties de cette nuit. Il te cherche partout depuis vingt minutes, tombe directement sur ta messagerie. Bref, c'était la panique générale et maintenant qu'ils t'ont retrouvé, mon frère te fait dire qu'il va être super furax que t'ais disparu, injoignable et en plus de découvrir que tu as dormi ici. La journée s'annonce bien, non ?

Il rejette ses couvertures, pimpant et frais comme une brise de printemps, prêt à entamer ladite merveilleuse journée. Je réprime un sourire.

- Il nous attend dans vingt minutes dans son bureau, on ferait peut-être bien de pas trop trainer... croit-il bon d'ajouter sans se départir de sa bonne humeur. Tes affaires sont peut-être sèches. Je doute que te découvrir dans mes fringues apaise sa colère...

Cela a au moins le mérite de me faire réagir. Je palpe le tissu encore mouillé de mes vêtements de la veille avant de secouer la tête. De toute façon, mes affaires pour la journée sont dans ma chambre, il faudra bien que j'y repasse, que je le veuille ou non. Autant retirer le sparadrap d'un coup sec. Devinant le fil de mes pensées, Adam acquiesce avec un clin d'œil encourageant.

- On se retrouve dans le hall, promet-il.

Je hoche la tête, avant d'ouvrir en grand la fenêtre. J'inspire un grand coup pour me donner un peu d'assurance puis me hisse sur son rebord avec la même aisance que les fois précédentes. Mes pieds et mes mains retrouvent naturellement fissures et aspérités du mur, me hisse doucement le long de la gouttière puis sur le toit d'ardoise. Mon regard balaie involontairement le bas du dortoir, l'étendue de gravier blanc teinté de sang, le corps étendu, désarticulé... Un vertige me saisit mais je trouve la force de m'éloigner de la bordure. Le souffle court, je m'accorde un instant pour laisser passer le malaise. Un mirage. Un jeu de l'esprit. Ce n'était rien de plus. Son corps a été transporté il y a déjà une semaine.